Alias Caracalla
conscience de ce pataquès, la
porte du salon s’ouvre. Un homme élégant entre et
me tend la main en souriant. Chauve, il paraît plus
vieux que * Rex. Bien qu’il soit d’aspect peu militaire,
je me mets au garde-à-vous et me présente : « * Bip W.
— Je m’en doutais », dit-il sans se départir de son
sourire.
Ouf ! Le BCRA a reçu mon télégramme. Deux
coups de sonnette successifs interrompent ma gêne.
*Rex entre dans le salon et se dirige vers le commandant, qu’il semble connaître.
Je m’apprête à me retirer : « Vous pouvez rester
puisque les instructions concernent l’organisation
des transmissions. » Puis se tournant vers Manuel :
« Je vois que vous avez fait connaissance. » Se rappelant sans doute les différents télégrammes à mon
sujet, il prévient toute observation : « J’ai détourné*Bip W de sa mission, car j’étais seul et prisonnier
de besognes subalternes. J’avais besoin d’un collaborateur de confiance. Qui mieux qu’un des volontaires que vous m’avez envoyés en était digne ? Du
moins parmi ceux du BCRA. » Je ne sais si Manuel
comprend l’allusion visant les envoyés du commissariat à l’Intérieur, au premier rang desquels le malheureux Morandat.
« Merci de votre appréciation flatteuse des volontaires du BCRA. Cependant, comme nous vous l’avons
télégraphié, nous regrettons que * Bip.W n’exécute
pas sa mission de radio en plus de sa fonction auprès
de vous, car c’est un excellent radio. »
Cet éloge que j’ai déjà lu dans les instructions est
sans doute destiné à exercer une pression sur * Rex
afin de l’obliger à me rendre à ma mission d’origine.
La réponse dilatoire de * Rex me rassure : « Il effectue des émissions de temps à autre pour ne pas perdre la main. Pour le reste, “à la guerre comme à la
guerre” !
— Bien entendu ! »
Durant ce bref échange, j’observe que le commandant, s’il est tout aussi déférent que Bidault à l’égard
de * Rex, ne recule pas. Sa réponse, pour cordiale
qu’elle paraisse, ne règle nullement ma situation, qui
demeure en suspens.
*Rex s’avance au milieu de la pièce en désignant
un siège au commandant, puis s’installe en face de
lui tandis que je pose les instructions sur un guéridon à ses côtés et m’assois à l’écart.
Au cours des rencontres, il m’est interdit de prendre des notes, mais j’écoute avec la plus extrême
attention, car * Rex m’interroge ensuite souvent sur
un mot ou une formule qui l’ont frappé, mais dont
il ne se souvient qu’imparfaitement. Il use d’ailleursde plus en plus de cette facilité, sans doute parce
qu’il a observé que je possède une mémoire quasi
instantanée, qu’il s’agisse de textes ou d’entretiens.
Ce jour-là, plus encore que d’habitude, je ne dois
pas perdre un mot de leurs échanges.
Qui est le commandant Manuel, que je n’ai jamais
rencontré à Londres ? A-t-il une autorité équivalente
à celle du colonel * Passy ou de * Rex en France ? Il
m’est difficile d’en juger. La relation entre les deux
hommes paraît cordiale, mais pas aussi intime que
celle avec Bidault.
Manuel explique, tout en sortant sa blague à tabac
et en bourrant sa pipe, qu’il vient inspecter les
réseaux de renseignements de la zone sud. Il existe
une interférence entre leur activité de renseignement militaire et les questions politiques, laquelle
doit cesser. Sur le terrain, les agents du BCRA hésitent entre le renseignement et l’action parce qu’ils
sont sollicités par les résistants dès que ceux-ci
découvrent leur appartenance à la France combattante. Cela crée des difficultés avec les Britanniques,
très stricts sur ce point : pas de politique dans le
renseignement.
Tout en écoutant le commandant, * Rex sort son
paquet de gauloises et allume sa première cigarette.
Sans transition, Manuel aborde l’objet de la rencontre. Il a été convoqué par de Gaulle, à l’occasion
de la signature de son ordre de mission : « Le Général
m’a demandé de commenter la lettre qu’il vous a
adressée et de vous expliquer les péripéties du
séjour de * Bernard [d’Astier] et * Charvet [Frenay].
“Surtout, a-t-il ajouté, dites à * Rex qu’il a toute ma
confiance et qu’il peut modifier mes directives
selon l’évolution des événements.” Il m’a demandé
également de fixer avec vous une date pour unvoyage à Londres afin que vous lui rendiez compte
du
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