Alias Caracalla
direction des
opérations militaires. Churchill, pour la survie de la
Grande-Bretagne, est de plus en plus à la remorque
de Roosevelt et ne peut rien lui refuser. C’est une
des causes de ses relations cyclothymiques avec de
Gaulle.
En dépit de son estime pour lui — affirmée authentique par son entourage —, rien ne prouve que, le
jour venu, il ne l’abandonnera pas sous la pression
des Américains et de leurs services.
« Le plus grave, dit Manuel, est que * Charvet et
*Bernard ont pris conscience que la légitimité internationale du Général dépendait de la caution de la
Résistance intérieure, et donc d’eux-mêmes. Heureusement, ils avaient signé les instructions. Mais
malgré cela, la veille de leur retour, ils ont voulu
remettre en cause leurs engagements et ont exigé
que l’argent leur soit directement adressé, et non à
vous. Devant le refus du BCRA, ils ont réclamé le
dépôt chez un notaire de l’équivalent d’un mois de
budget. En cas d’arrêt des opérations, il leur serait
distribué automatiquement. Quant à * Charvet, sous
prétexte de l’inexpérience du général * Vidal, il a exigé
de prendre immédiatement le commandement de
l’Armée secrète. Heureusement, * Bernard a réitéré
son refus, et nous n’avons pas eu à intervenir. Je
vous plains d’avoir à négocier avec un homme aussi
imprévisible.
— Merci de m’avoir éclairé sur ce séjour. Dans
quelques heures, je les rencontre pour la première
séance du nouveau Comité. Grâce à vous, ils ne
m’auront pas à l’intimidation ! De toute manière,
l’antipathie caractérielle entre * Bernard et * Charvet
a peu de chances de se dissiper. Le tout est d’en
“jouer” dans l’intérêt de la Résistance et celui du
Général.
— En tout cas, je tiens à vous répéter que vous
avez l’entière confiance du général de Gaulle et
qu’en toute occasion il endossera vos initiatives. »
Manuel a d’autres rendez-vous avant son départ,
ce soir, sur la Côte d’Azur pour rencontrer les chefs
des réseaux de renseignements. Son retour à Lyonest prévu pour le 5 décembre. Avant de nous quitter, je dois encore organiser avec lui un rendez-vous
pour cette date.
Je lui propose le restaurant Chez Georges , qui me
semble le plus sûr pour ce genre de rencontre. Je
dois également prévoir une liaison permanente avec
lui. Question délicate parce qu’il se déplace presque
tous les jours. J’indique au commandant la boîte de
Mme Bedat-Gerbaut, tandis qu’il me confie celle
d’un de ses agents à Lyon. En cas d’urgence, je
peux le joindre, en prévoyant toutefois un délai de
vingt-quatre heures pour la réception.
*Rex lui demande pour finir d’examiner avec moi
le problème des transmissions. Manuel répond qu’à
son retour, après l’inspection des réseaux radio et
des services de renseignements, il aura une meilleure
connaissance des difficultés du trafic clandestin.
Il examinera alors avec moi l’état du réseau de
*Rex.
D’un mot, j’essaie de l’alerter : « Ça marche très
mal, faute d’un correspondant au BCRA. Personne
n’écoute nos critiques techniques parce que personne là-bas n’est responsable.
— Vous avez raison ; c’est pourquoi nous nous
reverrons plus longuement à mon retour pour tenter
d’y remédier. »
Je lui demande la permission de rester dans l’appartement après son départ. J’ai prévu de vider les
cendriers et d’ouvrir la fenêtre pour effacer notre
« occupation tabagique ». Mme Bedat-Gerbaut entre
au salon avant que j’aie commencé mon travail réparateur, mais ne fait aucune remarque.
Après déjeuner, j’attends * Rex à l’arrêt du tramway devant l’Opéra. J’ai eu le temps de lire quelques
articles de journaux, en particulier « L’Adieu aux
étoiles », d’Henri Béraud, paru dans Gringoire . Il ne
s’agit pas, contrairement à ce que j’ai cru naïvement,
d’une condamnation du Maréchal, mais d’une mise
au pilori des États-Unis.
Lorsque * Rex me rejoint, je suis sous le coup de
l’indignation : « Je vous ai apporté l’article de Béraud
d’aujourd’hui. Comme d’habitude, c’est une infamie. »
*Rex le parcourt rapidement et me le rend, tandis
que nous montons dans le tramway. Le visage impassible, il ne dit mot. Sans doute réfléchit-il à la discussion qui se prépare au Comité de coordination :
Béraud n’est pas à l’ordre du jour. Je m’enflamme
cependant :
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