Alias Caracalla
lit, sur
lequel je me laisse tomber. M. Moret court chercher
un docteur du quartier.
« C’est une jaunisse ; spectaculaire, mais heureusement bénigne. Dans quelques jours, vous serez
debout, à la seule condition de rester bien au chaud. »
Il prescrit une diète et quelques médicaments. Par
chance, le Mirus près du lit de Suzette flambe depuis
quelques jours.
Jusqu’alors ma seule crainte était l’arrestation ;
aujourd’hui, c’est d’être alité. Rendez-vous, papiers et
codes valsent dans ma tête. La fonction que j’occupe
est vitale pour * Rex : * Germain, * Mado et Suzette
vont-ils pouvoir accomplir seuls toutes les tâches
pour lesquelles nous ne sommes jamais assez nombreux ?
Lundi 30 novembre 1942
Le service continue
Ce matin, vers 6 heures, tout le monde dort encore
lorsque la sonnette retentit. Bien que j’aie demandé
à * Germain de venir dès que possible chez les Moret,
je m’inquiète : à une telle heure, ce ne sont pas des
amis qu’on s’attend à voir à sa porte.
Il fait encore nuit. La porte sur la rue est en contrebas de la maison, mais le mur surélevé entourant le
jardin en masque la vue. Après une hésitation,
Suzette, dont la jeunesse, l’assurance, la beauté désarment les soupçons, va ouvrir. Elle laisse la porte de
l’appartement entrebâillée afin que je puisse tenter
de m’enfuir en cas de danger.
Je suis rassuré d’entendre la voix aux lentes
inflexions lyonnaises de * Germain se plaindre du
froid. Je suis heureux de le revoir et prends pleinement conscience de la place qu’il occupe dans ma
vie. Bien des camarades que je désigne du nom
d’amis, n’ont pas une telle importance : ma liberté
est entre ses mains et, depuis que nous travaillons
ensemble, ma confiance en lui n’a jamais été déçue.
Je lui explique la situation et lui demande de
venir me voir trois fois par jour. Puis je prépare
des mots afin de décommander mes rendez-vous et
annonce à tous mon indisponibilité pour quelques
jours. Je précise que le secrétariat fonctionne comme
d’habitude, à l’exclusion de la distribution des
budgets. Mes correspondants pourront continuer de
m’adresser le courrier pour * Rex, qui lui sera transmis, tandis que certains de mes contacts seront assurés par * Germain.
Reste à faire parvenir à * Rex les documents que je
reçois, puisqu’il ne possède plus de boîte personnelle et que personne ne doit connaître son adresse.
A-t-il trouvé mon billet ? Viendra-t-il ? Heureusement,
les papiers que m’apporte * Germain ce matin ne sont
pas urgents.
M. Moret rallume le Mirus à côté de mon lit avant
de partir à sa banque. La veille, il a trouvé quelques
fagots à prix d’or. Ne supportant pas de n’être pas
lavé, et surtout rasé, je décide, en dépit de la fatigue, de me lever pour faire ma toilette ; je ne tiens
pas debout ; Suzette est obligée de m’apporter une
cuvette sur le lit.
Vers 8 heures, deux coups de sonnette retentissent : * Rex. Tandis que Suzette descend lui ouvrir,
j’essaie de me lever pour l’accueillir debout, mais je
retombe sur le lit. Honteux de cette faiblesse, je crains
de passer pour ridicule.
Dès qu’il entre dans la chambre, je lui explique
mon état, dont j’ai honte. Je l’assure, contre toute
évidence, que je reprendrai mon service dans l’après-midi. Son visage manifeste l’expression attentive et
bienveillante qui m’a tant frappé lors de notre premier dîner. Il avance une chaise, tandis que Suzette
nous laisse seuls.
« Interdiction de sortir, a dit le docteur. Il fait
très froid. Soyez prudent, car une rechute serait
désastreuse : n’oubliez pas que j’ai besoin de vous. »
Aucun remède ne peut mieux hâter ma guérison
que de tels mots, prononcés sur un ton qui n’est pas
celui du service.
*Rex se penche vers moi et me tend un petit paquet
enveloppé dans un morceau de journal : sa ration
de sucre. « Vous en aurez plus besoin que moi. Il
faut boire beaucoup et très chaud. Lorsque vous
sortirez, surtout mettez votre manteau.
— Hélas, je n’en ai plus.
— Mais il faut en acheter un immédiatement !
Inscrivez-le sur votre note de frais. Et puis il faut
vous nourrir mieux que vous ne le faites. Vous êtes
encore un enfant. Notez-le également ! » Croit-il que
je puisse grandir encore ?
Honteux de ma défaillance — un soldat n’est jamais
malade —, je lui explique que les liaisons seront
assurées par *
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