Alias Caracalla
collègue de Pétain à l’Académie française.
*Rex, sans doute conscient de la fragilité de cette
hypothèse esthétique, en formule une autre, plus
« musclée » : « Dans le monde difficile de l’après-guerre, ne faudra-t-il pas, à l’inverse, concentrer la
réalité du pouvoir en une seule main, afin d’obtenir
plus d’efficacité dans la conduite de l’État ? C’est le
modèle américain : un président chef de l’exécutif,
contrôlé par un Parlement qui ne peut toutefois
modifier sa politique, même si ses votes sont négatifs. Cela permet d’appliquer une politique cohérente durant quatre ans : autorité, stabilité, libertés
garanties. »
Cette fois Bidault se récrie : « C’est certes un régime
efficace et raisonnable, mais je crains que les
Français n’aient pas oublié Bonaparte.
— Je n’ai pas de goût particulier pour les généraux, surtout ceux qui font de la politique. Mais la
France a eu beaucoup de chance d’avoir rencontré un
général qui n’ambitionne pas le rôle de Bonaparte,
même pas celui de Boulanger. À l’inverse, les parlementaires de la III e République ont trahi leur devoir. »
Bidault approuve : « En tout cas, la réduction du
nombre des partis est indispensable.
— Il faudrait regrouper les courants de pensée en
deux grands blocs idéologiques, à la manière des
Américains et des Britanniques : démocrates et républicains ou conservateurs et travaillistes.
— Quelle que soit la solution, il ne faut plus tolérer l’impuissance. »
Jeudi 17 décembre 1942
Suzette fait des miracles
Suzette me donne rendez-vous rue des Augustins. Le court laps de temps écoulé depuis qu’elle avoulu remettre à neuf l’appartement de la veuve
Pupuna me fait craindre qu’elle ait renoncé. En
chemin, je me reproche d’avoir cédé à sa gentillesse
impétueuse : j’ai perdu une semaine pour rien.
J’aurais été mieux inspiré d’engager une entreprise
de nettoyage.
J’en suis là de mes réflexions quand j’arrive sur le
palier et sonne. Lorsqu’elle ouvre la porte, ma surprise est à la mesure de l’inquiétude qui l’a précédée :
l’appartement est nettoyé de fond en comble, propre et lumineux ; les parquets sont grattés, les peintures refaites, et un papier clair est collé sur les murs ;
électricité et gaz sont rétablis ; les meubles sont cirés,
et, suprême délicatesse, une fleur est plantée dans
un vase du salon, en signe de bienvenue.
Suzette rit de toute sa jeunesse en m’intimant
l’ordre de m’essuyer les pieds sur le paillasson tout
neuf. J’ai honte de mes doutes et l’embrasse chaleureusement. Après cette démonstration, je juge
qu’elle est capable de tout et lui demande d’acheter
couteaux, fourchettes, cuillères, verres, assiettes,
casseroles…
Bien que nous prenions tous nos repas au restaurant, je prévois une sécurité supplémentaire : celle
de pouvoir dîner quelquefois entre nous. Quelle
détente de ne plus se méfier des voisins et de parler
librement ! Je trouve ce lieu tellement sympathique
que j’envisage un instant de m’y installer. Malheureusement, il est trop grand pour moi et trop excentré pour mes déplacements.
Samedi 19 décembre 1942
L’amateur de poèmes
Ce samedi, je vais chercher * Rex au bureau de
France d’abord, au coin de la rue Sala, à cent mètres
de chez moi.
Le patron est de bonne humeur : il a passé l’après-midi avec André Manuel. J’ai observé leur complicité, faite de vues communes sur l’organisation et la
conduite de la Résistance, ainsi que sur la vision
politique de l’avenir. Je me demande toutefois si
leur lien le plus profond ne vient pas d’un certain
sens de l’humour, dans lequel ils communient véritablement.
*Rex m’entraîne dîner non loin de là, rue Vaubecour,
dans un de ses bistrots favoris, Le Coq au vin . Pour
nous y rendre, nous empruntons la rue Sala et devons
passer devant l’immeuble où j’habite. J’hésite à le lui
révéler. La consigne est formelle : nos domiciles sont
secrets. Mais lui, dont l’existence à Lyon ne recèle
aucun mystère pour moi, n’a-t-il pas le droit de
connaître le mien, n’est-il pas mon patron ? En cas
de nouvelle maladie, il saurait où me joindre.
Arrivé à la hauteur de l’immeuble, je lui montre
l’étage où je vis. À ma surprise, il me dit : « J’aimerais voir votre chambre. » Sa réponse
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