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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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inattendue
m’inquiète brusquement : dans quel état l’ai-je laissée ? Heureusement, ma formation militaire et les
consignes de sécurité m’imposent chaque matin de
la quitter après l’avoir nettoyée et rangée : en cas
de perquisition en mon absence, je pourrais ainsi la
déceler à mon retour.

    Je m’efface pour le laisser entrer dans la pièce,que j’observe d’un œil nouveau : ma chambre est plus
petite que la sienne, plus coquette cependant, quoique modestement meublée d’un lit étroit, d’une table
et d’un fauteuil. Son seul défaut : l’immeuble d’en
face l’assombrit.

    « La rue est tranquille, me dit-il. Vous êtes au calme
pour travailler. » Pense-t-il aux tramways qui, devant
sa chambre, ferraillent sur le pont de la Guillotière
jusque tard dans la nuit ?

    Seuls les quelques livres achetés depuis mon arrivée révèlent ma présence. Je les ai rangés sur un
rayonnage encastré dans le mur, près de la fenêtre.
Curieux, il examine les titres : il y a là mes auteurs
de toujours, Pascal ( Les Pensées ), la Bible, Rimbaud
( Une saison en enfer ), quelques ouvrages de Valéry
qui viennent de paraître et que je lis dans le train
( Variété , Tel quel , Mauvaises pensées et autres , etc.),
et aussi des nouveautés : Ci-devant , de Monzie, et,
le plus voyant par son épaisseur, Les Décombres , de
Rebatet.

    *Rex le désigne du doigt : « Qu’en pensez-vous ? »
Dois-je lui révéler mon opinion ? Depuis notre premier dîner, j’ai découvert que * Rex était non seulement républicain, militant des droits de l’homme,
admirateur de la Révolution française et de gauche,
mais encore défenseur de Cot et de Dreyfus. Depuis
lors, toutefois, il n’a jamais fait allusion à mes opinions. Les a-t-il oubliées ?

    Comme j’ai trop de respect pour lui pour mentir,
je lui révèle le plaisir éprouvé à la lecture du début :
« Si l’on aime la polémique, c’est un chef-d’œuvre.
J’ai lu en Angleterre plusieurs récits de la défaite.
Aucun ne ressemble à ce torrent d’imprécations.
Rebatet possède le talent dramatique pour faire
revivre le plus grand désastre de notre histoire. »

    Mon enthousiasme semble l’amuser. Je n’ai pas le
temps de lui faire part de mon dégoût pour le pro-nazisme affiché dans la suite du livre qu’il sort déjà
du rayonnage les Morceaux choisis de Valéry : « Vous
aimez Valéry ? » Je confesse que si j’ai une passion
pour ses essais, il n’est pas mon poète préféré.
J’admire Apollinaire, Baudelaire, Rimbaud, Péguy.
Je connais par cœur nombre de leurs poèmes, alors
que, de Valéry, je n’ai retenu aucun vers.

    « C’est pourtant le plus grand ! » coupe-t-il avant
de s’élancer sans aucune gêne :

                Soleil ! soleil !… Faute éclatante !

                    Toi qui masques la mort, Soleil, […]

                    Tu gardes les cœurs de connaître

                    Que l’univers n’est qu’un défaut

                    Dans la pureté du Non-être !

    Je suis médusé : je n’ai jamais entendu réciter de
poèmes de Valéry. La voix chaude et familière de
*Rex me révèle la splendeur de ces vers, qui m’apparaissent pour la première fois dans tout leur éclat.
Je suis envahi par un ruissellement de lumière.
Comme nous sommes loin de la guerre ! Je regrette
d’être obligé de l’accompagner au dîner tant j’ai
hâte d’être seul pour relire ces vers surprenants, qui
m’avaient rebuté autrefois.

    J’observe * Rex  : il tourne le dos à la fenêtre, l’épaule
appuyée contre la bibliothèque ; son visage rayonne.
Je n’aurais jamais cru qu’il pût être bouleversé par
un poème. La poésie, consolation ultime de ceux qui
n’ont qu’un pied dans la vie, est liée aux rêveries de
mon adolescence. Qu’est-elle donc pour lui, apparemment heureux de vivre et jouant avec aisance son rôle
dans l’existence ?

    Je lui explique que, pour une raison inconnue, j’ai
abandonné la lecture des poèmes depuis mon arrivée
en Angleterre. Depuis deux ans, je leur préfère les
romans. Seuls Baudelaire et surtout Rimbaud échappent à cette indifférence. Depuis la découverte de ce
dernier durant mon adolescence, je suis obsédé par Une saison en enfer .

    En quittant ma chambre, il lance dans l’escalier :
« C’est très sympathique. » Qu’aurait-il dit s’il

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