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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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avait
su que cette pièce d’apparence paisible était une poudrière : j’ai caché dans la penderie une partie du budget en coupures étrangères, sous le fauteuil mon poste
de radio et sous le matelas mon revolver…

    Il ajoute : « Parmi vos Valéry, je n’ai pas vu Regards
sur le monde actuel . Vous n’aimez pas ?

    — Je ne l’ai pas lu.

    — Il contient peut-être ses meilleurs essais. Je
vous recommande particulièrement “La Liberté de
l’Esprit” et “L’Europe”. Tout est dit sur les problèmes
que nous affrontons. Lisez aussi “La Dictature” et “Le
Progrès”. Je suis sûr que vous aimerez sa clarté,
après laquelle nous courons tous et qui ordonne
la complexité du monde. » Je comprends mieux
pourquoi il a songé à en faire un président de la
République.

    Depuis six mois que je vis aux côtés de * Rex, je
mesure la finesse de son jugement, l’étendue non
seulement de ses connaissances, mais aussi de sa
culture artistique et historique, en particulier sur la
Révolution. Les dîners avec Bidault sont, malgré
leur longueur, un plaisir chaque fois renouvelé. En
ces occasions, il a un partenaire dont l’humour, parfois grinçant, relance constamment le débat. Comparé
à ce brillant journaliste, je suis conscient de faire piètre figure. Cependant, lorsque nous sommes ensemble, il n’a pas l’air de remarquer mon inculture.
Inexplicablement, il semble heureux de s’entretenir
avec moi des sujets les plus imprévus, et parfois les
plus savants. Il est vrai qu’il s’agit le plus souvent de
monologues.

    Notre dîner marque la fin de la récréation. Il revient
au sujet de ses inquiétudes : les transmissions
radio.

    Je constate que les problèmes demeurent sans
solution. Londres a envoyé du renfort, avec Loncle
et Denviollet. Mais si une amélioration se fait
sentir, le retard est tel et le trafic a tant augmenté
que le mieux passe inaperçu. En France, nous
vivons loin de l’ordre parfait qu’on nous a enseigné
en Angleterre : « C’est le foutoir ! » comme dirait
Cheveigné.

    Je profite de l’harmonie ambiante pour exposer
les questions qui me hantent. Le mois de décembre
marque un nouveau départ pour laWT 2 , la radio
clandestine. L’envoi par Londres des deux camarades d’Old Dean (Denviollet, destiné à Franc-Tireur,
et Loncle, chargé d’enseigner les procédures de
Londres aux opérateurs recrutés sur place) est le
résultat du changement de politique des Britanniques.

    L’arrivée de mes camarades fait espérer des transmissions efficaces. J’avoue toutefois que mon véritable espoir réside dans * Panier, ami de Manuel,
ingénieur spécialiste des transmissions. Il attend sondépart pour Londres, où il doit proposer au BCRA
une nouvelle organisation des chaînesradio 3 .

    À la fin du repas, * Rex m’annonce son départ pour
Londres, programmé pour la lune de janvier. Il me
demande de prévoir une liaison radio quotidienne
entre lui et les responsables des mouvements, des
partis, des syndicats et, surtout, des services :SOAM 4 et secrétariat en particulier.

    J’en profite pour énumérer, une fois de plus, les
difficultés de la radio clandestine : manque d’opérateurs, en dépit des nouveaux arrivants, mais aussi
manque de matériel et de lieux d’émission. Comme
d’habitude, il m’interrompt : « C’est votre affaire. »
Comme d’habitude aussi, son visage se ferme.

    Après l’avoir quitté au coin du pont de la Guillotière,
je rentre rue Sala. Dans la nuit glacée de Lyon désert,
je repense à ma découverte d’une passion de * Rex
que j’ignorais : la poésie. Elle me permet de lever
un voile sur ce charme diffus que j’ai éprouvé dès
notre première rencontre et cette façon abandonnée de rire dont rayonnent les êtres libres.

    Cet homme exigeant dans le travail est aussi l’être
sensible et délicat qui mémorise des vers : occupation insensée pour un homme d’action, obsédé par
l’efficacité. Cela explique sans doute sa liberté d’allure,
sa curiosité polyvalente, ses propos insolites. Saconnaissance de l’art, de la peinture en particulier,
aurait dû m’alerter. Mais je suis trop ignorant de
cette histoire-là, singulièrement des œuvres, pour
comprendre l’emprise qu’elles peuvent exercer sur
une vie. L’absence d’intérêt de * Rex pour la musique m’a fait conclure trop rapidement au béotien.

    Après être rentré chez moi, je sacrifie comme
chaque soir, en

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