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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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rejoint les champs de bataille
de Libye ? Il en parle comme distraitement, sans
émotion, selon son caractère réservé. Pourtant, à
l’évocation de ce cher absent, je mesure à sa voix
combien cette séparation lui est cruelle.

    À mesure que nous prononçons des noms, nos
camarades deviennent présents, comme au premier
jour, avec leurs humeurs, leurs foucades, et puis le
rire de nos vingt ans. Curieusement, nous n’imaginons pas que « leur » guerre puisse tuer. Sans doute
parce que nos camps d’entraînement anglais faisaient figure d’épilogue « sportif » à nos années de
collège, nous préparant à un match décisif, tout au
plus. Sans doute aussi parce que la tragédie est
quotidienne pour nous aussi : nos camarades du
BCRA en mission disparaissent les uns après les
autres, sans autre trace que la blessure qu’ils laissent dans nos cœurs.

    Lorsque Briant m’annonce, en fin de soirée, son
affectation comme radio duBOA 7 , à Paris, je ressens son prochain départ comme une fatalité.

    Après dîner, malgré le bonheur nostalgique qui
rôde autour de nous, nous avons envie de dormir.
Le sommeil, même dans l’insécurité, est notre seul
répit et, au-delà de tout, notre véritable fête.

    Rentrant seul chez moi, je mesure que ce réveillon
a été moins triste que celui de 1940. Le temps et
l’éloignement ont-ils eu raison des démons de mon
passé ? Suis-je gagné par l’oubli ? Ou est-ce parce
que je vis en France, et non plus en exil ? Pourtant,
je me sens plus isolé encore à Lyon qu’en Angleterre.
La pensée que je suis à quelques heures de train seulement de mes parents me taraude cette nuit plus
que d’habitude.

    J’ai dit l’interdiction de revoir nos familles. Ce n’est
pas l’envie d’un aller-retour à Pau qui me manque :
qui le saurait ? Mais je sais trop que le bonheur
égoïste que je volerais ainsi serait à jamais terni parl’angoisse qu’auraient mes parents de connaître ma
mission en France et le danger permanent de ma
condition. J’espère que l’absence de nouvelles de moi
dans laquelle ils sont depuis mon départ d’Angleterre
rend leur inquiétude diffuse. Ils ignorent tout de
mon existence, et c’est mieux ainsi. Voilà pourquoi
chaque tentation de les revoir est neutralisée par un
besoin symétrique de les protéger et m’incite à ne
rien faire.

    Une fois de plus, je me résigne.

    Vendredi 25 décembre 1942

     

    Matinée à l’Opéra

    Cheveigné souhaite que nous allions au spectacle
pour marquer ce jour spécial entre tous. Après avoir
consulté les programmes, nous nous décidons pour La guerre de Troie n’aura pas lieu , de Jean Giraudoux,
qu’une troupe parisienne joue à l’opéra de Lyon. J’ai
invité Suzette à se joindre à nous pour la remercier
de son inlassable dévouement.

    De notre loge du premier étage, nous pouvons
contempler la salle bondée. À cause du malheur des
temps, certaines répliques semblent d’une actualité
provocante. Elles font hurler et applaudir le public
comme à guignol. Nous sommes à mille lieues de
l’Occupation et, grâce au génie de Giraudoux, retrouvons l’insouciance de nos âges.

    Dimanche 27 décembre 1942

     

    L’avenir du Général

    Je brûle de revoir * Rex. Non pour lui raconter mon
Noël, mais pour le questionner sur l’assassinat de
Darlan, il y a trois jours.

    « Le meurtre n’est pas une arme politique », me
répond-il à son retour, avant d’ajouter, hésitant : « En
l’occurrence, aucun d’entre nous ne s’en plaindra. »
J’accueille la nouvelle avec triomphe : de Gaulle
sera à Alger d’un jour àl’autre 8 . Ce n’est pas une
espérance, mais une certitude.

    *Rex douche mon optimisme : « C’est maintenant
que les difficultés commencent. Je vous l’ai déjà dit,
Giraud est “respectable”. Il doit tout aux Américains
et fera ce qu’ils attendent de lui. L’avenir du Général
s’éloigne. »

    Je suis curieux de connaître l’opinion de Georges
Bidault, avec lequel nous dînons ce soir. Comme
d’habitude, il a écouté les radios et n’ignore rien du
déroulement du drame, heure par heure. Il nous
révèle le nom de l’assassin : Fernand Bonnier de La
Chapelle, un garçon de vingt ans. D’emblée, il est
pour moi un héros de la Libération et le symbole de
notre aventure. J’envie sa bravoure et regrette de ne
pas avoir assassiné Darlan de mes mains.

    Bidault et * Rex ont un autre point de vue :

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