Alias Caracalla
Bonnier
est un assassin, et seul les intéresse le général Giraud.
*Rex répète ce qu’il m’a dit en arrivant. Ce pronostic
ne convainc guère Bidault, qui semble modérément
optimiste : « Politiquement, c’est un niais. De Gaulle
n’en fera qu’une bouchée. »
*Rex demeure un moment silencieux : « Je souhaite que vous ayez raison, mais les bouchons au fil
de l’eau sont insubmersibles. Ce qui importe aux
Alliés, c’est d’avoir un homme qui applique leur
politique. La raideur du Général les insupporte.
Giraud leur obéira, et ce n’est pas le Conseil impérial qui désignera de Gaulle comme chef du gouvernement. » Il ajoute : « Il est essentiel que le Général
connaisse l’état de la Résistance : je vais me rendre
à Londres. »
Jeudi 31 décembre 1942
Clôture du cauchemar
Depuis le 11 Novembre, de nombreux journaux se
sont sabordés : à Lyon, il ne reste que Le Nouvelliste et, pour la presse parisienne repliée, Paris-Soir et L’Action française .
Les Fêtes ne ralentissent nullement mon travail,
d’autant que la Résistance connaît une période
enfiévrée. * Rex en est conscient et demeure à Lyon.
Paul Schmidt et sa femme m’ont invité avec Jean
Loncle pour le réveillon du Nouvel An : imprudence
rarissime, qui nous eût valu une sanction si elle
avait été connue du BCRA. Depuis juin 1940, nous
sommes entre Français libres et ne nous quittons pas.
Bien que nos camarades résistants partagent travail et risques avec nous et soient devenus des amis,
ils demeurent étrangers au lien spécial qui unit les
volontaires de Londres. Nous serions bien en peine
de définir la frontière invisible qui nous sépare d’eux.
Est-ce notre douloureux exil ? Une sorte d’exclusiveà l’égard du grand Charles, qui n’appartiendrait qu’à
nous ? Nous incarnons la France libre, à nos yeux
la Résistance légitime, bien que nous n’utilisions pas
ce mot en Angleterre, parce que nous étions d’abord
des rebelles. Seuls parmi les résistants, nous connaissons le Général : nous l’avons rencontré, avons participé à la constitution de son armée et à l’élaboration
de sa doctrine, devenue l’emblème de notre combat
et qui nous a façonnés.
De leur côté, les chefs et responsables des mouvements marquent leur différence en nous désignant,
le plus souvent avec mépris, comme « les gens de
Londres » : autrement dit des émigrés, des planqués,
des non-combattants. À l’inverse, nos jeunes et plus
proches collaborateurs s’affirment clairement « gaullistes ».
Quant à nous, nous sommes persuadés d’être bien
autre chose, et bien plus, que des gaullistes : nous
sommes les soldats du Général, raison pour laquelle
rayonne entre les Français libres une confiance spéciale qui, en toute occasion, abolit distance et secret.
Une autre différence avec nos collaborateurs de
la Résistance est que, contrairement à nous, qui
vivons avec de faux papiers dans des chambres de
rencontre, toujours sur le qui-vive, ils ont partout
l’impression d’être en sécurité, vivant sous leur véritable identité au sein de leur famille.
Assurément, il s’agit d’une sécurité trompeuse, mise
à mal par leur activité de résistants, qui les conduit,
hélas, à de folles imprudences suivies d’arrestations.
Comme avec Briant à Noël, en ce soir de réveillon
de Nouvel An chez Schmidt, le bataillon de chasseursnous revisite, et avec lui l’Olympia Hall, Delville
Camp, Old Dean, la première rencontre avec de
Gaulle, le drapeau français hissé au mât du Parad
Ground , la visite du roi George…
Mais à ma grande surprise Briant n’est pas parmi
nous : Schmidt m’apprend qu’il a été arrêté au lendemain de Noël sur la ligne de démarcation et qu’il
a écopé de plusieurs semaines de prison. Je ne sais
ce qui l’emporte de la tristesse de cette nouvelle ou
de la joie d’une conséquence aussi bégnine. Schmidt
achève de me rassurer : « Ils ne l’ont pas identifié,
sans quoi tu penses bien qu’il ne s’en tirerait pas à
si bon compte. »
Schmidt raconte ensuite comment il a rencontré
*Rex, par hasard, au cours de son entraînement de
parachutiste. Ils ont même joué aux échecs ensemble ( * Rex l’a battu) ! Celui-ci lui a demandé de lui
raconter la Norvège, le ralliement à de Gaulle d’une
poignée de chasseurs alpins, etc. Schmidt était étonné
qu’un homme de son âge ignorât les
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