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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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nous sommes rencontrés à Montluçon, le soir
de votre parachutage. J’étais sur le terrain avec * Kim
[Schmidt]. » Cette révélation me fait l’effet d’une
indiscrétion. Dans la clandestinité, elle signifie
danger.

    Je suis sur mes gardes. Jamais je n’ai dit à personne comment ni où je suis arrivé en France. De
rares responsables des mouvements m’ont questionné
sur ma vie en Angleterre, mais personne ne m’a
interrogé sur mon parachutage, pas plus que sur lefonctionnement des transmissions ou du secrétariat.
Cet accord tacite protège notre sécurité.

    Tandis que nous nous installons, il poursuit :
« Je suis professeur de philosophie au lycée de
Montluçon. Par mes fonctions je connais beaucoup
de monde. Nous étions inquiets le soir de votre arrivée à cause de la manifestation dulendemain 9  : la
police quadrillait la ville, ce qui rendait particulièrement périlleuse l’opération de parachutage. Quand
nous en avons eu connaissance, il était trop tard pour
la décommander. »

    Ma gêne s’accroît : il m’est désagréable qu’un
inconnu soit au courant de cette affaire. Il y a cinq
mois que je suis rentré en France ; tant d’activités,
de rencontres, d’événements se sont interposés
depuis lors que mon retour est devenu intemporel.
Comme s’il ne percevait pas mon malaise, il continue : « Heureusement c’est une ville à majorité socialiste, qui a pratiquement basculé tout entière dans
la Résistance. Hier, il y a eu des manifestations à la
gare pour empêcher le départ d’un train d’ouvriers
pour l’Allemagne : la foule s’est couchée sur les voies
aux cris de “Vive de Gaulle ! À mort Laval !” »

    Je lui rappelle la raison de notre rendez-vous :
établir une liaison quotidienne. * Dupin me remet
un document : « C’est le compte rendu de la manifestation des cheminots. Je dois me rendre en zone
nord pour quelques jours afin de revoir des amis qui
peuvent servir la Résistance. Je souhaite rencontrer
*Rex pour prendre ses instructions. »

    À nouveau, je suis contrarié par cette demande :
lorsque * Rex me confie d’établir une liaison permanente avec un responsable, c’est en général pour
éviter de multiplier ses rencontres avec lui.

    En dépit de ces couacs, notre attirance est irrésistible. Est-ce son âge, sa tournure d’esprit, sa culture ?
Au cours du dîner s’instaure entre nous une confiance
familiale, différente de celle que je peux avoir avec
les autres responsables. Je crois que je reconnais en
lui le style de la France libre : cet intellectuel ne
rêve que plaies et bosses.

    Il me raconte son entrée en résistance, après l’appel
de Pétain, le 17 juin 1940. La nuit de ce jour sinistre,
sa honte l’a jeté dans la rue où, muni d’un bâton
de craie, il a tracé en grosses lettres sur les murs
de Montluçon : « À bas Hitler ! » Cri désespéré de
l’impuissance dont il se sentait déjà prisonnier.

    Il y a longtemps que je n’ai entendu le récit de ces
journées tragiques. En Angleterre, à tant rabâcher
nos histoires, nous avions épuisé le sujet et ne parlions plus de « ça » depuis longtemps. Absorbés
comme nous l’étions par les tâches militaires, ces
récits maudits avaient rejoint les épaves du passé
dans les hauts-fonds de la mémoire. À Lyon, perdu
dans le mystère de cette ville noyée de pluie, de froid
et de tristesse, je sens en l’écoutant se ranimer les
sentiments poignants que j’avais moi-même vécus
au milieu du décor féerique d’un été sans tache.

    Il évoque sa traversée de la France de juin 1940,
seul, à bicyclette, vers un port de l’Atlantique pour
embarquer sur un navire en partance. Arrivé à
Bordeaux après l’armistice, il a vu les bateaux à quai,
interdits de quitter le port. Il me dit son désespoir
de ne pouvoir partir, puis l’affreux retour, dans des
trains bondés, à Montluçon où il avait laissé sa
famille, ses quatre filles.

    Son engagement dans « ce qui ne s’appelait pasencore la Résistance », précise-t-il, ne fut pas immédiat. Les premières recherches de volontaires partageant son refus ont été décevantes. Puis vint la
création des premiers groupes d’action et sa découverte de Libération et de l’équipe de Schmidt.

    En l’écoutant, je reconnais ce besoin d’engagement physique qui m’a entraîné, depuis deux ans, à
utiliser mon corps comme instrument de la vengeance. * Dupin commença par

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