Alias Caracalla
de la
République. Le choix de Darlan puis de Giraud par
les Alliés et leur opposition à de Gaulle obligent
d’intégrer les anciens partis dans la lutte commune
afin de les convaincre qu’il représente la France.
Après son exposé, * Rex redonne la parole à d’Astier
responsable des questions politiques du Comité. Il
ne modifie pas sa réponse pour autant, s’exprimant
avec intelligence et nonchalance, dans un langage
châtié de salon : « Je n’ai pas répondu à votre papier
[le mépris est perceptible] parce que j’en condamne
les termes. Que veut dire “les mouvements ne sont
pas toute la Résistance” ? Avez-vous imaginé la stupeur des militants devant cette formulation inexacte
et scandaleuse ? Avez-vous pensé à ceux qui ont
choisi la lutte contre les Allemands au premier jour
de la défaite ? »
Est-ce une menace ? D’Astier regarde successivement Frenay et Lévy, quêtant leur approbation : « Il
n’y a qu’une Résistance, celle qui veut libérer la
France les armes à la main, c’est-à-dire nous seuls.
Tout le reste n’est que manœuvre politicienne d’avant-guerre, dont nous ne voulons plus. Le but évident
en est la reconquête d’un pouvoir que les parlementaires ont livré à Pétain. Ayant disparu après cetteforfaiture, ils abandonnent leur prudente retraite
parce que la Libération approche. Il est inacceptable qu’on leur livre la Résistance comme un marchepied pour leurs ambitions. Je suis opposé à ce
projet sous toutes ses formes et le dirai au général
de Gaulle. »
Bien qu’il s’exprime d’une voix soyeuse, la menace
est audible. À mesure de son déroulement, la réunion m’apparaît très différente de celles auxquelles
j’assiste habituellement : elles ont le caractère informel d’entretiens au cours desquels * Rex cherche à
obtenir, par démonstration et persuasion, l’accord
de son interlocuteur. Aujourd’hui, il s’agit d’un débat
dont je comprends que l’enjeu est l’autorité dont il
est investi, puisque sa politique est condamnée.
Droit sur sa chaise, il écoute attentivement des
propos offensifs et redondants. Rien ne paraît sur
son visage des sentiments provoqués par la véhémence de Frenay, l’opposition flegmatique de Lévy
ou les récriminations de d’Astier. De temps à autre,
il note un mot sur un feuillet.
Sans répondre à d’Astier, qu’il remercie pour la
clarté de sa position, il donne la parole à Frenay,
impatient, raide sur son siège, qui n’a cessé de griffonner des notes sur des papiers étalés devant lui. Il
rappelle d’abord à * Rex qu’il a déjà répondu au
projet au cours de conversations particulières. Il
tient à répéter devant ses camarades — prononcé à
sa manière, ce mot signifie rivaux — son opposition
absolue à la résurrection des anciens partis, qui
appartiennent à un passé condamné. Il affirme que
les résistants s’opposeront catégoriquement à leur
renaissance.
Frenay veut bien admettre que de Gaulle — il ne
dit jamais le Général, à la différence des autres —ait besoin de leur soutien, mais rien n’empêche les
responsables des partis de lui apporter leur appui à
titre individuel. Non seulement la Résistance ne
deviendra jamais leur alliée, mais sera un obstacle
sur leur chemin de reconquête du pouvoir.
« Chaque jour, explique-t-il, les résistants paient
le prix pour parler au nom de la France. Nous
avons des droits, celui de nos martyrs : nous ne
laisserons pas confisquer la victoire par des hommes déchus. D’ailleurs, le général de Gaulle est
d’accord avec nous. Relisez la charte du mois de
juin, ses discours sur les “sépulcres blanchis”. Vous
prenez une initiative qui va à l’encontre de ses
intentions et de ses projets. Nous ne vous laisserons
pas faire. »
Le ton de sa voix s’élève, devient plus dur, comminatoire, menaçant à la fin. Je suis gêné d’être le
témoin de cette scène. Certes, je commence à connaître les oppositions au Conseil de la Résistance proposé par * Rex, mais je n’ai jusque-là entendu personne
s’adresser au patron sur ce ton. J’ai cru que la courtoisie et l’ouverture de * Rex aux autres le protégeraient de tant d’acrimonie.
Le visage de * Rex se durcit : sa mâchoire est
contractée, et je le vois blêmir légèrement. À ma
surprise, c’est d’une voix presque enjouée qu’il
s’adresse à lui : « Merci, mon cher * Charvet de votre
franchise, qui
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