Alias Caracalla
ne m’étonne pas de vous. Peut-être la
passion vous entraîne-t-elle dans des bravades inutiles. Vous avez raison, il y va de l’avenir de la France
et de ses institutions. Mais n’est-ce pas notre raison
d’être à tous ? Rassurez-vous, je comprends votre
passion et ne tiendrai pas compte des écarts de langage auxquels elle vous entraîne. »
Cette dernière phrase est prononcée du tonmoqueur que * Rex utilise parfois pour désamorcer
des situations conflictuelles.
Frenay se cabre : « Je ne retire rien de ce que j’ai
dit, ni dans le fond, ni dans la forme. J’y ai beaucoup
réfléchi, contrairement à ce que vous suggérez. Je
vous ai expliqué aujourd’hui ma détermination.
— Je vous en donne acte, réplique * Rex. Nous
allons écouter maintenant notre camarade * Lenoir
[Lévy], dont je ne doute pas qu’il ait, comme toujours, des suggestions pertinentes à formuler. »
Comme je l’ai dit, la manière de s’exprimer du
chef de Franc-Tireur est un élément pacificateur. Je
retrouve dans sa spontanéité celle des conversations
de * Rex. Il annonce qu’il ne partage pas les termes
excessifs employés par Frenay — une expression de
mépris passe fugitivement sur le visage de ce dernier —, tout en étant d’accord avec son exposé et
avec celui de d’Astier.
Il rappelle que nous luttons pour la même cause
et que nous devons nous entendre, y compris sur le
Conseil de la Résistance. « Franc-Tireur, dit-il, a
toujours lié la lutte contre les Allemands au retour
de la République. Le mouvement et son journal ont
dit et répété qu’ils souhaitent que le Général soit
l’homme de cette résurrection. Il y a certainement une
solution, et je souhaite un accord sur ce point. »
Son intervention détend l’atmosphère. * Rex me
semble baisser la garde : « Comme toujours, notre
ami * Lenoir est la voix de la sagesse. Il a raison :
pourquoi dramatiser ? Ensemble, nous trouverons
une solution à une situation de fait. »
Frenay sent le danger et s’insurge : « Il s’agit d’un
choix politique. La Résistance est-elle capable de
rénover, seule, les mœurs et les institutions de la
République ou bien a-t-elle besoin des fantômes dela faillite ? La révolution, c’est nous ! Je le répète :
je suis en complet désaccord avec votre projet. Il
faut l’abandonner. »
Dans sa lancée, Frenay expose un autre argument : « L’unité de la Résistance se fera non grâce à
votre projet, mais par la création d’un comité de
coordination interzone rassemblant les mouvements
de zone sud et de zone nord. Vous m’avez d’ailleurs
donné votre accord. L’avez-vous oublié ? »
Loin d’exploser, * Rex répond d’un ton apaisé,
mais déterminé : « Je regrette que nous n’ayons pu
avoir une discussion constructive autour de ce projet. J’aurais souhaité le présenter au Général avec
votre assentiment ; mieux, avec votre participation.
Je l’informerai de votre refus, tout en lui demandant d’approuver mon projet. »
D’Astier exploite aussitôt l’avantage marqué par
Frenay : « Le Général sera informé directement de
notre désaccord, qui est un désaveu. La Résistance,
c’est nous ! Personne ne lui imposera ce qu’elle
refuse. »
*Rex est-il certain de convertir le Général à ses
idées ? En tout cas, il ne réplique rien. Se tournant
vers Frenay, il lui demande s’il a de nouvelles propositions pour la lutte armée. Celui-ci lui répond,
soudain calmé : « Il faut accentuer notre action.
Nous ne faisons rien contre les hommes de Vichy.
L’assassinat de Darlan est un exemple à suivre. Je
vous propose de nous attaquer à Pierre Laval. Il faut
recruter dans nos mouvements des “hommes torpilles” pour cette opération. »
D’Astier acquiesce : « Après Darlan, nous devons
terroriser Vichy, en France même. » Tout le monde
semble d’accord. Après tant de divisions, assisterais-je enfin à l’unanimité. Contrairement à * Rex et àBidault, les chefs des mouvements considèrent
l’assassinat comme une politique.
Avant de clore la séance, * Rex leur demande à
nouveau de garder avec moi un contact permanent
après son départ. C’est alors que Frenay propose à
*Rex de le raccompagner. Le patron me confie ses
papiers et me fixe rendez-vous au Garet pour dîner.
À l’heure prescrite, j’attends * Rex, qui arrive très
en retard, le visage fermé. Je devine que l’entretien
avec Frenay a
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