Alias Caracalla

tend une main molle.

    *Rex explique les raisons de ma présence. Souhaitant, à Londres, demeurer en contact étroit avec
eux, il a prévu une liaison radio aussi fréquente que
le permette la gonio allemande. De plus, par mon
intermédiaire, les mouvements recevront leur budget habituel.

    La rencontre avec les mystérieux chefs de la
Résistance rassasie ma curiosité. Je découvre, enchair et en os, des hommes qui n’étaient jusque-là
que les noms et pseudos d’une algèbre politique.
Depuis des mois, les commentaires de * Rex ont créé
des personnages imaginaires, devenus familiers.
Correspondent-ils à leurs modèles ?

    Chacun me communique sa boîte personnelle ; je
leur donne la mienne, ainsi que les heures les plus
favorables pour me joindre quand ils le souhaitent.
*Rex me fixe rendez-vous en fin d’après-midi. Je
m’apprête à quitter la salle lorsque Frenay lui conseille
de me garder  : il craint que les allées et venues autour
de la propriété ne paraissent suspectes.

    La séance peut donc commencer. Assis à côté de
*Rex, je peux observer les chefs à loisir. Ils m’apparaissent fort différents de l’image construite, même
si je reconnais dans leur propos, leur visage, leur
élocution, les gestes qui les accompagnent le reflet
exact de leur caractère.

    L’ordre du jour est consacré à la désignation d’un
chef unique assurant la direction des MUR dans
les six régions de la zone libre. * Rex préside. Trop
occupé par mes tâches, je ne l’ai jamais imaginé dans
ce rôle étranger à nos relations. De son existence, je
ne partage que les repas, en général avec un invité,
ou quelques réunions de responsables, comme celle
avec les socialistes. Aujourd’hui, je le vois dans la
plénitude de sa fonction.

    Il donne la parole à Frenay. Je suis surpris par
les qualités d’orateur de ce dernier : élocution facile,
verbe imagé et surtout chaleur humaine, qui impose
une écoute sympathique. Toutefois, il masque mal
sa volonté de puissance : il n’ouvre pas un débat ; il
impose une conclusion. Bref, il s’exprime en chef.

    À sa gauche, sur un côté de la table, d’Astier de
La Vigerie, tout en fumant, écoute, rêveur, sans riendire. Négligemment assis de biais sur sa chaise, un
coude appuyé sur la table, tenant une cigarette entre
deux doigts de son autre main, il tire nonchalamment des bouffées et renvoie la fumée au plafond.
De temps à autre, il crayonne sur une feuille un mot
ou un signe.

    *Rex donne la parole à Lévy. Plus jeune que Frenay,
il n’a ni sa raideur ni son autorité. Il s’exprime lentement avec une sorte d’hésitation, ayant parfois
une élocution embarrassée, qui donne à ses paroles
une sincérité émouvante.

    En désaccord avec les propositions de Frenay, il
conteste leur bien-fondé. En particulier, il se plaint
de la place médiocre accordée à Franc-Tireur dans
la répartition des postes de responsabilités. Pour
remplacer certains responsables, il propose quelques
noms que tout le monde note.

    Le tour de table s’achève par d’Astier. Distant et
ennuyé, il répond qu’il a pris note des propositions
de Frenay, auxquelles il réclame quelques modifications. Il annonce qu’avant de donner une réponse
définitive, il devra consulter son comité directeur.
Je ne sais pourquoi, à cet instant, je croise le regard
de * Rex. L’espace d’un éclair, je reconnais dans ses
yeux la lueur amusée qui m’est familière. Je me
retiens de sourire tant je sais ce que * Rex pense de
cette réponse rituelle.

    Le tour de table n’a guère pris de temps. Je comprends que les nominations des chefs régionaux ne
sont que le prélude à un plus vaste débat sur les
problèmes liés à la fusion des mouvements, dont le
commandement militaire de l’Armée secrète est,
depuis des semaines, le plus épineux et le centre de
tous les entretiens.

    Je découvre finalement que le véritable objet dela réunion est la formation du conseil politique de
la Résistance, dont les participants ont posé le manifeste devant eux. Je sais que les partis et syndicats
que * Rex a rencontrés ont donné leur accord de
principe, mais qu’il attend toujours celui des mouvements.

    *Rex explique, comme je l’ai vu faire avec Bidault,
Manuel, Bastid, Teitgen, Menthon et d’autres, la
nécessité pour les résistances de faire bloc autour
du Général, après l’échec d’Anfa. Une fois de plus,
je l’entends répéter qu’il est la seule chance