Alias Caracalla
quinze jours de retard, un câble de
Londres pour des opérations aériennes en préparation
et vient d’apprendre qu’un de ses propres câbles
avait mis le même temps. Résultat, des opérationsaériennes, déjà en nombre insuffisant, ont dû être
annulées.
« Peux-tu m’expliquer, me demande-t-il, pourquoi
les transmissions sont bordéliques ?
— À cause du manque d’emplacements, de quartz,
de postes et d’opérateurs.
— Mais n’avons-nous pas reçu du personnel de
Londres, depuis l’automne ? Et Franc-Tireur, n’a-t-il
pas reçu * Frit.W [Denviollet] ?
— C’est vrai, mais ils sont déjà arrêtés ! Pour
assurer la liaison radio avec les mouvements,
*Bip [Bidault] et *Rex, il n’y a plus que *Salm.W
[Cheveigné], qui travaille comme un fou. » Je lui
explique que ce dernier a mis au point une nouvelle
organisation à la campagne et que nous allons l’étendre grâce au matériel livré hier. Il installera de nouveaux emplacements, qui le protégeront contre la
détection. J’ajoute : « Il faut absolument recruter ou
former des radios ; or c’est difficile et long.
— Tu répètes toujours la même chose.
— Mais parce que c’est toujours la même chose :
chaque jour, c’est la guerre des radios. Il y a de la
casse. Pour l’instant, nous sommes battus. Le jour
où Londres comprendra nos réclamations et fera
pleuvoir les postes, nous gagnerons. C’est le but du
voyage en Angleterre de * Panier [Jean Fleury]. Avec
lui, tout devrait changer !
— Espérons que tu dis vrai », conclut Fassin.
Puis il me quitte, plus pressé que jamais.
J’aurais aimé lui parler des partis politiques, de
l’avenir de la République. Comme moi, il a milité à
l’Action française. J’aimerais savoir où il en est. Sur
ce point, Londres ne peut rien pour nous.
Mardi 16 février 1943
Premières nouvelles du patron
Selon les instructions de * Rex, je rencontre
*Frédéric, arrivé à Lyon hier. Il me remet les courriers
du BCRA, y compris la lettre de De Gaulle adressée
personnellement à * Rex. Il est plus exalté qu’à l’ordinaire ; son séjour à Londres l’a visiblement dopé.
Dès ses premiers mots, il me prend de haut :
« Pourquoi * Rex est-il parti ? » — comme si j’étais
responsable de son départ ! Il me raconte sa tentative, sur le terrain même, pour l’en empêcher.
Excédé, je lui réponds sèchement : « * Rex cherchait en vain depuis des mois à rejoindre de Gaulle : il
est parti cette nuit-là parce qu’il en avait l’opportunité. Ce n’est pas compliqué à comprendre. »
Je ne vais tout de même pas lui avouer que son
propre voyage à Londres, en janvier, n’avait été qu’un
pis-aller : * Rex, dans l’incertitude de son départ,
avait besoin d’un porte-parole auprès du Général, et
*Frédéric valait mieux que rien. Sa connaissance de
la zone nord pouvait empêcher le Général de prendre,
sous l’influence de * Brumaire, des décisions malencontreuses quant à l’organisation de la Résistance.
« Je ne comprends pas pourquoi il est parti, répète
*Frédéric. J’ai vu le Général ; lisez la lettre qu’il lui
adresse. Il a toute sa confiance et tous les pouvoirs
pour les deux zones. Il n’a rien à faire “là-bas”. C’est
ici que l’avenir se joue. C’est ici qu’il doit combattre
*Passy et *Brumaire, sur lesquels je sais tout ! »
Selon son habitude, il crie les noms propres.
Connaissant ses habitudes déconcertantes, je lui ai
donné rendez-vous non pas dans « son » café habituel, mais sur les quais de la Saône, à hauteur de la
gare Perrache, où ils sont déserts. Il n’a d’ailleurs
pas manqué d’accuser le coup : « Pourquoi se voir
au milieu des courants d’air ? »
Il ne résiste pas au plaisir de raconter son voyage
dans cette forteresse assiégée qu’est l’Angleterre. Extasié par le spectacle de la rue, le courage de la population, l’accueil de Jacques Bingen, chef de la section
politique du BCRA, dont Manuel a déjà parlé à * Rex
avec la familiarité d’un ami.
Sur de Gaulle, qui l’a reçu personnellement, il est
intarissable. Je suis toutefois choqué de la manière
cavalière avec laquelle il évoque le Général : « Je lui
ai fait remarquer qu’il se trompait. » J’entends cette
remarque comme une profanation. Assurément,
*Frédéric n’est pas des nôtres : il lui manque l’attachement jaloux et respectueux
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