Alias Caracalla

Nous
n’ignorons ni vos luttes, ni vos épreuves. »

    Il ne cache rien de ses problèmes politiques,
dont il sait que son interlocuteur est digne de les
comprendre :

La Libération approche. Elle se fera dans des
conditions équivoques et difficiles, du fait de la
politique « d’apaisement » de nos alliés. Ce qui se
passe en Afrique du Nord pourrait même être un
danger si ceux qui mènent le jeu d’Alger n’étaient
pas de simples sots et si notre pays n’avait pas
dans ses profondeurs choisi une fois pour toutes la liberté et la République. Toutefois, il fauts’organiser pour la Résistance, non seulement
dans le présent mais encore dans l’avenir .

    Ces mots reflètent élégamment mais fermement
la situation du Général. Mais pourquoi une lettre
aussi exceptionnelle, qui dépasse de loin les quelques lignes que le Général écrit à d’autres hommes
politiques ? Il a besoin de Blum, de sa dignité, de
son rayonnement international :

Nous comprenons très bien qu’à mesure que
point l’aurore, il soit normal et même souhaitable que la Résistance — tout en demeurant unie et cohérente — se teinte et se nuance
des tendances politiques traditionnelles et
diverses .

    Après avoir affirmé que les cadres politiques
deviennent un élément essentiel dans le rassemblement du peuple pour l’action, le Général expose son
projet, objet véritable de la lettre :

C’est pourquoi nous souhaitons la formation à
l’intérieur du pays d’un organisme concret, groupant sous le signe unique de la lutte pour la patrie
et pour la démocratie, les représentants des partis, du moment que ces partis sont, en tant que
tels, en action de combat. Les représentants s’y
trouveraient aux côtés des chefs des organisations
de résistance actuellement existantes. Le tout serait
lié au Comité national et constituerait bien la
« France combattante » .

    Le Général détaille ensuite son projet :

Il apparaîtrait sur le sol national une autorité
provisoire de la France combattante, susceptible
de s’opposer aux tentatives de division et de confusion que ne manqueront pas de tenter certaines
équipes alliées avec le concours de leurs clients
français .

    Ces trois dernières lignes me prouvent, s’il en
était besoin, que j’ai eu raison de choisir de Gaulle
depuis le premier jour. Ma curiosité est plus vive
encore à l’égard du parti communiste : Comment le
Général peut-il le soumettre à son autorité alors
qu’il prétend rassembler toute la Résistance dans le
Front national ?

    Le texte est si assuré que je ne doute pas un instant que de Gaulle parviendra à étendre son pouvoir sur ces hommes qui reviennent de loin :

L’arrivée de Fernand Grenier, l’adhésion du
parti communiste au Comité national qu’il m’a
apportée en votre nom, la mise à ma disposition,
en tant que commandant en chef des Forces
françaises combattantes, des vaillantes formations de Francs-tireurs que vous avez constituées
et animées — voilà autant de manifestations de
l’unité française, voilà une nouvelle preuve de
votre volonté de contribuer à la Libération et à la
grandeur de notre pays. Convaincu que votre décision apporte une contribution importante à l’intérêt national, je vous en remercie sincèrement.
[…] De grands efforts, de grands sacrifices vous
seront demandés après tous ceux que les membres de votre parti ont déjà consentis au service
de la France.

    Comme mes camarades de la zone sud, j’ignore
les conditions du voyage de Grenier à Londres. Mes
quelques rencontres avec le représentant communiste ne m’avaient pas convaincu qu’il souhaitait
une « adhésion » aussi complète que le formule de
Gaulle. Désormais, je ne doute pas de l’adhésion
des communistes à la France libre, sinon de Gaulle
ne pourrait écrire :

Je suis certain que les représentants que j’ai
désignés trouveront chez les responsables du Parti
communiste français une volonté de coopération
poussée jusqu’à l’esprit de sacrifice et la même
loyale discipline qui existe déjà à l’intérieur de
vos organisations. Mes représentants vous feront
part des décisions prises ici et auxquelles Fernand
Grenier a participé .

    La conclusion abrupte emporte l’adhésion :

L’heure des plus durs efforts approche. […] Je
sais que la France combattante peut compter sur le
Parti communiste français .

    Pendant le dîner, je lis quelques