Alias Caracalla
France sur son
origine et son exploitation par les nazis ne m’a rien
appris de la flétrissure que je ressens à cet instant :
le choc de cette vision me plonge dans une honte
insupportable.
Ainsi les attaques contre les Juifs, auxquelles je
participais avant la guerre, sont-elles l’origine de ce
spectacle dégradant d’êtres humains marqués comme
du bétail, désignés au mépris de la foule. Subitement,
mon fanatisme aveugle m’accable : c’est donc ça
l’antisémitisme !
Entre mes harangues d’adolescent exalté — « fusiller Blum dans le dos » — et la réalité d’un meurtre,
il n’y avait dans mon esprit aucun lien. Je comprends à cet instant que ces formules peuvent tuer.
Quelle folie m’aveuglait donc pour que, depuis deux
ans, la lecture de ces informations n’ait éveillé en moi
le plus petit soupçon ni, dois-je l’avouer, le moindre
intérêt sur le crime dont j’étais complice ?
Une idée folle me traverse l’esprit : embrasser ce
vieillard qui approche et lui demander pardon. Le
poids de mon passé m’écrase ; que faire pour effacer l’abjection dont j’ai brusquement conscience
d’avoir été le complice ?
À cet instant, j’aperçois * Germain sortir du café et
s’avancer vers moi en souriant : « Bonjour, patron. »
Il ajoute aussitôt : « Comme vous êtes pâle. Rien de
grave, j’espère ? » Il pense évidemment à notre sécurité, aux menaces invisibles qui nous environnent.
Je le rassure : « Non, tout va bien. C’est la fatigue :
je n’ai pas dormi. »
Sa présence me ramène à la réalité : je ne suis pas à
Paris pour soigner mes états d’âme. * Rex arrive le 31,
et tout doit être prêt pour le recevoir. Assurément,la Résistance n’est pas le lieu propice à la culture
des remords.
*Germain m’explique l’organisation qu’il a mise
en place : * Mado est logée chez son beau-frère à
L’Haÿ-les-Roses. La maison étant vide dans la journée, elle peut y travailler provisoirement. Suzette a
réintégré le domicile de ses parents, 160, boulevard
Malesherbes. Archimbaud, Girard et Van Dievort ont
trouvé un logement.
Quant à moi, Suzette m’a installé chez une de ses
amies d’enfance, mariée à un avocat. Ce ménage
brûle de servir la Résistance. Ils possèdent un vaste
appartement place des Ternes. Je peux y demeurer
le temps nécessaire à mon installation.
Le résultat le plus spectaculaire revient à * Germain :
il a installé sa boîte centrale place de la Trinité, chez
Mme Scholtz, la tante de Théobald. Je m’étonne :
« Pourquoi dans un magasin ? Ce n’est pas très
prudent.
— Il n’y a pas d’autre solution à Paris.
— Pourquoi ?
— Parce que les immeubles n’ont pas de boîtes
aux lettres et que le courrier est déposé chez les
concierges. Je n’ai pas confiance. »
J’ignorais cette singularité des immeubles parisiens. J’en mesure tous les dangers. Lors de la tenue
de réunions, par exemple, cela oblige à déjouer une
surveillance supplémentaire, les allées et venues provoquées par un appartement étant repérées immédiatement. Notre sécurité sera plus fragile qu’à Lyon.
« Heureusement, Paris, c’est grand », ajoute
*Germain, laconique. Je suis fier de son inlassabledévouement et de son intelligence pratique. Arrivé
depuis deux jours, ne connaissant personne, il s’est
débrouillé comme il le fait depuis huit mois à Lyon,
silencieux et redoutablement efficace.
« Je vous ai apporté un plan du métro, seul
moyen de circuler rapidement. » Il me désigne la
station Trinité, proche de sa boîte. « Il faut essayer
de grouper nos rendez-vous aux alentours, sinon
nous ne tiendrons pas : il y a tant d’escaliers à monter et descendre. »
Je lui confie quelques lettres à porter à différentes adresses que j’ai obtenues avant de quitter Lyon.
Il me remet un billet de Jean Ayral, que je n’ai pas
revu depuis notre parachutage commun, fixant mes
premiers rendez-vous. Je dois correspondre quotidiennement avec lui : il est devenu le chef du Bureau
des opérations aériennes de zone nord, et c’est par
lui que je recevrai les instructions, le courrier et
l’argent de Londres.
Par ailleurs, j’ai besoin d’un contact immédiat avec
François Briant, son radio, pour établir des transmissions rapides avec Londres.
*Germain me transmet également un rendez-vous
avec Suzette place des Ternes, à midi et
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