Alias Caracalla
France malgré les
ordres stricts du gouvernement. Nous avons été
accueillis à Falmouth très chaleureusement et avec
des marques de sympathie dépassant de beaucoup
ce que nous osions espérer. Malheureusement,
depuis deux jours, je suis dans un centre d’accueil
qui ressemble singulièrement par les visages qui
s’y montrent à un camp de concentration. D’après
les bruits qui circulent j’en ai pour quelques
jours d’attente. J’aurais une joie infinie de pouvoir rencontrer, ne serait-ce que pendant quelques
instants, un visage qui soit autre que celui des
gardes ou des émigrés. Je n’ose vous dire mon
abattement.
Je vous aurais une reconnaissance infinie si
vous pouviez venir me voir seulement quelques
minutes. Je m’excuse de cette demande qui enfreint
toutes les règles du savoir-vivre, mais les circonstances exceptionnelles que nous traversons
vous donneront peut-être l’indulgence nécessaire
pour accomplir cette étrange démarche.
En m’excusant de ce mot, je vous prie de recevoir, Madame, mes hommages respectueux.
Cette affaire réglée, et ayant déjeuné, je n’ai rien
d’autre à faire que de me reposer. Hanté par le souvenir de Domino, je raconte sur une page entière de
mon cahier nos derniers rendez-vous.
Vendredi 28 juin 1940
Point de vue d’exilé
Incapable de réfléchir ou de lire, je note une phrase
de La Fontaine résumant ce que je n’ai plus la force
de penser : « L’absence est le plus grand des maux. »
J’enrage de ne recevoir aucun signe de l’extérieur :
de Schwob, de Mme Zonneveld ou, mieux encore,
d’un envoyé du général de Gaulle. Pourquoi ce dernier demeure-t-il invisible et silencieux ? J’envie les
nombreux volontaires qui rejoignent son quartier
général, à en croire le Daily Mail , qui ne révèle pas
son adresse, hélas ! D’ailleurs, qu’en ferais-je puisque nous sommes prisonniers ?
J’éprouve aussi la crainte d’un retour inopiné du
consul de France, assortie des mêmes interrogations :
Quels sont ses pouvoirs ? A-t-il une autorité administrative sur les ressortissants français ? Les garçons mobilisables dépendent-ils de lui ? Peut-il nous
embarquer de force ?
J’en discute avec Philippe, qui, aussi ignorant que
moi, se veut rassurant. Il ne croit pas qu’un diplomate ait la moindre autorité sur un citoyen français
à l’étranger. En tout cas, il se récrie lorsque je lui
annonce que, dans l’hypothèse d’une intervention
musclée, je réclamerai la citoyenneté britannique :
« Toi qui accuses les Anglais de toutes les perfidies,
quelle conversion ! Depuis ton arrivée, tu n’as pas de
mots assez élogieux à l’égard de la perfide Albion. »
Je me rebiffe : « Il n’y a aucune contradiction :
aujourd’hui les Anglais sont le seul espoir de battre
les Boches. De toute manière, avec de Gaulle, nous
serons intégrés dans l’armée anglaise. Je ne vois pas
ce que mon projet a de ridicule.
— Ils ne t’accepteront pas. Tu ne parles même
pas l’anglais. Tu devrais plutôt te préoccuper du
débarquement des Allemands.
— L’Angleterre est invulnérable. »
Il me rappelle que je proclamais, il n’y a pas si
longtemps, la même chose au sujet de l’armée française. « Les Allemands sont à Bayonne, simple étape
sur la route de Gibraltar », ajoute-t-il négligemment.
Samedi 29 juin 1940
La légion française
Le hasard veut que, ce 29 juin, le Daily Mail nous
apporte quelques éclaircissements. L’article du
journal est intitulé « Invasion : sommes-nous
prêts ? » En dépit de mon anglais de potache, je
comprends la question avec d’autant plus d’acuité
que, désormais, ma survie est liée à celle des
Anglais.
Tandis que nous sommes dispersés dans le collège,
quelqu’un annonce, dans l’après-midi, un envoyé du
général de Gaulle. Un lieutenant français attend les
volontaires, seul, dans un coin de la cour centrale.
Quelques instants plus tard, une cinquantaine de
garçons l’entourent.
Le lieutenant nous parle. Contrairement au consul,
plutôt sympathique et cordial avant notre affrontement, il se montre distant et antipathique. Non seulement il ne fait aucun effort pour obtenir notre
engagement, mais il ne semble guère désireux de
recruter des volontaires.
Il nous annonce que le gouvernement anglais a
reconnu la légitimité de De Gaulle comme chef des
Français de Grande-Bretagne, mais il insiste sur
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