Alias Caracalla
déjeuner, je retrouve * Rex derrière
le palais des Glaces, en bas des Champs-Élysées.
Je n’y ai jamais rencontré d’autres résistants, et
l’endroit me semble sûr : à l’exception d’innocents
patineurs, près de l’entrée, côté Grand Palais, il n’y
a jamais personne.
À Paris comme à Lyon, * Rex spécialise ses lieux de
rendez-vous : celui-ci est réservé à ses proches collaborateurs. Arrivé le premier, je le vois déboucher
du rond-point flanqué de * Morlaix et * Champion. À
en juger par leurs gestes, la conservation est animée.
Lorsque nous nous rejoignons, le patron semble
tendu. Je lui communique ses rendez-vous de l’après-midi, puis, tous les quatre, nous nous dirigeons vers
la place de la Concorde ; * Rex et * Morlaix devant,
*Champion et moi à quelques pas derrière, d’où
nous entendons leur conversation.
*Morlaix achève le compte rendu de ses rencontres
avec André Mercier et Charles Tillon, qu’il résume
d’une phrase : « Ils refusent d’obéir aux directives
de l’état-major allié. »
En dépit de cet échec ou à cause de lui, * Morlaix
minimise l’importance de l’objectif fixé par * Rex :
« Il est important de ne pas braquer les communistes sur une question mineure. L’action immédiate
n’est pas une erreur en soi. » Il ajoute : « Il faut combattre les Boches partout et par tous les moyens.
Dans la Résistance, les communistes sont les seuls
à se battre tous les jours. Les mouvements, vous le
savez mieux que moi, en sont incapables ! » Selonlui, les FTP sont l’unique organisation militaire de
qualité ; au lieu de s’en méfier, les mouvements
devraient s’en inspirer et se grouper autour d’eux.
« Après tout, ajoute-t-il en regardant * Rex, vous
devez être satisfait du résultat que vous avez obtenu :
en dépit de leur supériorité militaire, les FTP acceptent de mettre leurs troupes au service d’un état-major
“étranger” et d’obéir aux ordres de * Vidal [Delestraint],
représentant militaire du Général. » Politiquement,
c’est une victoire incontestable pour * Rex.
Intarissable, * Morlaix plaide une nouvelle fois :
« Il serait équitable de leur laisser la liberté de
combattre comme ils l’entendent. Pourquoi même
ne pas les imiter sur ce terrain ? » * Morlaix a prononcé ces derniers mots avec une assurance, une
passion et surtout un ton que je ne lui ai jamais
connus face au patron. Est-ce le mot de trop ?
*Rex s’arrête brusquement et le saisit par la manche. Surpris, * Champion et moi nous retrouvons à
leurs côtés. * Rex regarde * Morlaix droit dans les
yeux : « J’ai pour mission d’appliquer des directives,
qui ne sont pas seulement celles du Général, mais
de l’état-major allié, dont j’ai rencontré les chefs.
J’ai transmis aux FTP ce que j’ai le devoir de leur
prescrire. Ils obéiront. Sinon, tant pis pour eux. Le
Général ne mendie aucune voix. Vous connaissez
ma position : avec les communistes d’accord, mais
jusqu’à un certain pointseulement 8 . »
Depuis mon arrivée, c’est la première fois quej’entends * Rex parler de la sorte à * Morlaix, qui a le
rare privilège de l’avoir connu avant la guerre. Je
reconnais ce ton sans réplique, celui-là même avec
lequel il m’a rappelé à l’ordre il y a quelques jours
et qui m’a glacé. Lorsqu’il s’exprime de la sorte,
rarement, heureusement, cela signifie la clôture de
toute discussion.
C’est bien ainsi que l’entend * Morlaix, qui ne répond
rien. Sans un mot, nous repartons tous les quatre
vers la Concorde.
D’habitude, * Morlaix se contente de rendre compte
des missions que * Rex lui a demandé d’accomplir
auprès de tel responsable politique de la zone nord
ou de tel chef de mouvement. * Rex l’interroge minutieusement afin de connaître les antécédents,
l’influence et les opinions des uns et des autres sur
le problème du jour : la formation du Conseil de la
Résistance. Jamais il n’évoque avec lui les problèmes techniques de nos services ni les relations avec
Londres, traités avec ses seuls collaborateurs du
BCRA. Quant aux questions politiques, elles sont
réservées à Georges Bidault.
Après le déjeuner à la brasserie Weber , rue Royale,
je les quitte pour mes rendez-vous de la journée.
*Médéric veut me voir d’extrême urgence à 6 heures,
place de la Trinité.
En arrivant sous le porche de l’église, en face du
magasin de Mme Scholtz,
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