Alias Caracalla
information en sa possession : Dulles, chef des services secrets américains à
Berne, aurait rencontré un représentant de Combat
et lui aurait proposé de financer son mouvement,d’imprimer son journal et de lui procurer des armes
en échange de renseignements militaires.
La connaissance de la conduite des Américains
en Suisse est un atout majeur, vis-à-vis des Alliés,
entre les mains du Général. Inquiet du silence qui a
suivi les questions du Général, le service a expédié
de nouveaux câbles à * Rex réclamant une réponse,
câbles également demeurés sans réponse.
Aujourd’hui ce sont eux que j’apporte décodés à
*Rex. Après les avoir lus, il se montre d’abord incrédule — « * Charvet [Frenay] ne m’en a jamais rien
dit » —, puis il explose : « Quel tartuffe ! Depuis
mon retour, le 20 mars, nous nous sommes maintes
fois et longuement rencontrés : pas un mot ! »
Il réfléchit un moment, puis reprend : « Je comprends mieux son effronterie à l’égard de * Vidal
[Delestraint] et son refus de siéger au Conseil de la
Résistance : il n’est plus seul. Grâce aux Américains, il
est prêt à jouer son va-tout et à faire sécession. »
Il ajoute : « Je lui dirai la semaine prochaine ma
façon depenser 10 ! »
Je cours chez Mme Martin pour prendre * Coulanges
et le conduire dans une maison amie, sur la colline
deSainte-Foye 11 .
Même si ça me coûte du temps, je suis toujours
curieux d’assister aux entretiens de * Rex avec de
nouveaux interlocuteurs. * Rex manifeste ouvertement
avec * Coulanges la chaleur naturelle qui l’habite.
Le patron a étudié avec soin les notes qu’il lui a
apportées. Il questionne * Coulanges sur quelques
points de détail, puis l’interroge sur le voyage du
Général à Alger. * Coulanges explique que le départ
de De Gaulle était programmé pour la fin du mois
d’avril, lorsque l’interdiction signée d’Eisenhower
est tombée.
*Rex l’interrompt : « Les Américains ont-ils peur
du Général ?
— Ils ont raison : de Gaulle ne fera qu’une bouchée de Giraud ! »
*Coulanges explique que les Alliés craignent surtout sa popularité auprès de la population algérienne : « N’en doutez pas, lorsque le général de
Gaulle paraîtra, la foule l’acclamera. Et puis de
Gaulle, vous le connaissez mieux que moi : c’est un
roc. »
Je me risque à questionner * Rex : « Les Américains
ne peuvent-ils devenir les maîtres de la France, avec
l’argent qu’ils distribuent ? » J’ai entendu mes camarades évoquer le grand train que mènent à Paris certains agents de l’OSS ( Office of Strategic Services ).« Ils sont certes puissants, répond * Rex, mais comptez sur moi, ils n’auront pas le dernier mot. »
Il en profite pour demander à * Coulanges des
explications sur la connaissance que Londres a de
cette affaire. C’est Pierre de Leusse, l’ancien représentant de Vichy à Berne, qui a alerté le Général.
À cause de son passé, il devait se racheter en faisant
du zèle. De Gaulle craignait que les Américains ne
raflent l’Armée secrète et les maquis.
Regardant * Rex, il ajoute : « Il vous soutiendra de
toutes ses forces dans cet affrontement.
— Mais les Américains ont l’argent, et la France
libre n’en a pas !
— De Gaulle a mieux que l’argent, il vous a, vous : il
est sûr que vous triompherez des mouvements.
— Vous le remercierez, mais j’ai besoin d’une
aide matérielle. Je me battrai de toutes mes forces,
mais ne m’abandonnez pas. »
Le ton singulier de cette dernière phrase m’apparaît comme une sorte d’appel désespéré. Est-ce bien
*Rex qui prononce de tels mots et sur un tel ton ? Il
revient à ses soucis : « L’attitude de * Brumaire n’en
est que plus criminelle ! » Le mot est fort, mais vis-à-vis de cet homme et de Frenay, * Rex est sansretenue 12 .
Comme d’habitude, je rentre par le train de nuit.
Dimanche 25 avril 1943
Pâques à Notre-Dame
Pour la troisième fois, je fête Pâques en exil, solitaire, loin de mes amis et de ma famille. L’absence
de François Briant, aujourd’hui, est plus cruelle
encore.
J’avais quatorze ans quand j’ai visité Notre-Dame
pour la première fois, mais je n’ai jamais assisté à
un office religieux dans ses murs. La foule endimanchée, soudée par la présence sensible de Dieu,
m’enveloppe d’une émotion indicible. La
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