Alias Caracalla

farce pour des « oreilles » ennemies. Selon * Rex,
je me trompe : « Pour authentifier vos fonctions,
visitez des galeries lorsque vous êtes dans le quartier des Beaux-Arts. »

    Perçoit-il ma réprobation muette ? Il ajoute :
« Achetez Comœdia . Vous y trouverez des comptes
rendus d’expositions. Ça vous permettra de “fairesemblant”. » Il est vrai qu’à Lyon ces conversations
sur des sujets fictifs faisaient partie de la couverture enseignée en Angleterre pour protéger notre
clandestinité. Elles ne m’avaient pas étonné et
m’avaient même diverti.

    Aujourd’hui, même si cette fiction reste sans doute
protectrice, je n’ai pas une minute à lui consacrer
au cours de journées déjà trop courtes. Paris est une
ville démesurée, et nous sommes tous épuisés par
les heures de métro et de galopades aux quatre
coins de la capitale.

    J’accepte toutefois son conseil sans broncher.

    Lorsque nous arrivons rue Cassini, * Rex m’interroge une fois de plus : « Combien de temps vous
faut-il pour faire parvenir un câble à Philip ? » Le
poste de Paris ne fonctionnant toujours pas, le seul
contact avec Londres est Cheveigné, à Lyon.

    « Si vous me le donnez maintenant, il sera ce soir
à Lyon. * Salm.W [Cheveigné] pourra l’expédier
demain dans la journée. J’ignore les délais requis à
Londres entre la Home Station , le BCRA et André
Philip : au mieux un ou deux jours, au pire plus d’une
semaine.

    — Tant que ça ? »

    Tout en se rasant, il me demande à brûle-pourpoint : « Que pensez-vous du Conseil de la
Résistance ? » Quelle importance peut avoir mon
opinion ? Je n’ai garde d’oublier que je suis son
secrétaire, autant dire rien dans la Résistance. Je
lui explique qu’un détail me heurte, comme mes
camarades de la France libre : « En quoi les ancienspartis politiques disqualifiés aux yeux des Français
peuvent-ils apporter une caution à de Gaulle ?

    — Vous avez raison quant au jugement des
Français sur les partis, mais il s’agit ici d’offrir une
caution aux Alliés. Pour eux, Blum, Herriot, Reynaud
sont des démocrates et représentent la France. Ils
ne sont pas discrédités par la défaite. En prison, ils
en sont les victimes. »

    Après son déjeuner, il rédige, sur une page, un
texte adressé à de Gaulle. Avant de me le confier,
il le relit sans ajouter de correction. J’observe sa
longueur inusitée : « Je l’expédierai en deux ou trois
câbles d’égale longueur pour qu’il y ait moins
d’erreurs de transmission. »

    En me quittant, il me rappelle notre prochain
rendez-vous, à midi et demi.

    Après avoir quitté le patron, je me précipite rue
Vavin pour coder son texte et le faire dactylographier par * Mado.

    Il annonce d’abord, en huit lignes, la constitution
du Conseil de la Résistance et l’organisation d’une
réunion prochaine. Il réclame un message du Général
devant constituer un programme politique, dont il
expose les grandes lignes, suggérant d’insister sur
deux thèmes principaux : « […] nécessité constituer
IV e  République qui ne sera pas calquée sur III e  et
dans laquelle partis politiques devront former blocs
idéologiques très larges. »

    *Rex n’oublie pas le présent, pour lequel il demande
au Général de « souligner difficultés requérant intérieur efforts, sacrifices, discipline ».

    Puis, s’adressant au Général à l’occasion de sondépart en Algérie, * Rex déclare que tous les mouvements, partis et syndicats lui renouvellent leur
« attachement total aux principes qu’ils incarnent et
dont ne sauraient abandonner parcelle sans heurter
violemment opinion française ».

    En leur nom, * Rex martèle :

Subordination de Gaulle à Giraud ne sera
jamais admise par peuple de France qui demande
installation rapide gouvernement provisoire Alger
sous présidence de Gaulle avec Giraud comme
chef militaire .

    La force de ce texte réside pour moi dans la dernière ligne :

Quelle que soit l’issue des négociations de Gaulle
demeurera pour tous le seul chef Résistance française .

    *Rex me demande de le reproduire à seize exemplaires et de l’adresser aux futurs membres du
Conseil.

    L’annonce par la BBC du prochain départ du
Général pour Alger a incité * Rex à expédier son texte
sans attendre l’accord des intéressés. Inquiet, il s’en
est ouvert à Bidault, qui lui a donné raison : « L’avenir
de la République mérite