Alias Caracalla
des trois mouvements
seront neutralisés. Ayant rassemblé les forces diverses de la Résistance en un seul organisme, * Rex
pourra maintenir l’autorité du Général en jouant des
ambitions des uns et des autres.
Les mathématiques ont toujours raison.
Jeudi 13 mai 1943
De Foch à Donatello
*Rex a rendez-vous à midi, avec *Marty, dans les
jardins du Trocadéro. Il doit me présenter pour
organiser une liaison permanente.
Il m’a fixé rendez-vous en fin de matinée au pied
de la statue équestre du maréchal Foch, édifiée sur
le rond-point de la place. En l’attendant, je tourne
autour du socle, faussement attentif à ce monument
sans intérêt à mes yeux. Après un moment, j’aperçois au loin la silhouette de * Rex, sa démarche viveet rythmée. Approchant, il lève la tête vers la statue
et la pointe du doigt : « Avez-vous observé attentivement cette œuvre de Bourdelle ? »
Je ne réponds pas, désarçonné par son entrée en
matière. Ses monologues sur l’art sont d’habitude
réservés aux rues encombrées ou aux transports,
partout où peuvent traîner des oreilles indiscrètes.
Le rond-point étant désert, tout comme la place
immense autour de nous, je découvre que, depuis
mon installation à Paris, il s’abandonne de plus en
plus à ce qui ressemble à une passion obsédante.
Il poursuit : « Il a copié une statue de Donatello,
à Padoue, la première à avoir été fondue en Italie
au début de la Renaissance. Elle représente un chef
de bande, Il Gattamelata , qu’il a transformé en héros.
Il est tête nue sur son cheval, comme le modèle
antique de l’empereur Marc Aurèle, qui orne la place
du Capitole à Rome. »
Ignorant tout de Donatello et de la statue du
Capitole, je n’ai rien remarqué en l’attendant, obsédé
que je suis par des regards d’une autre nature. En
fait de couvre-chef, je scrutais les képis et les casquettes aux abords de la place.
*Rex revient à Donatello, dont il m’explique
l’œuvre : « C’est un des inventeurs de la Renaissance,
l’annonciateur de Michel-Ange par la passion tragique que révèlent plusieurs de ses œuvres. » Il ajoute
que le maître-autel qu’il a sculpté à Padoue est revêtu
de bas-reliefs en bronze qui comptent parmi les
œuvres les plus inventives de toute l’histoire de la
sculpture : « Nous irons voir ses œuvres à Padoue.
Passionné comme vous l’êtes, je suis sûr que vous
serez captivé par Donatello. »
Ce n’est pas la première fois que le patron évoque
un avenir de voyages baigné par l’art. Cette fois, jen’ai plus de doute : c’est un artiste. Je croyais qu’il
était peintre. Ce matin, il me semble plutôt sculpteur. Quant à l’évocation d’un avenir avec moi,
souhaite-t-il me conserver comme secrétaire après
la Libération ? Dans un bureau ? J’aime tant bouger
que j’en reste perplexe.
Arrivés en avance au rendez-vous, nous nous dirigeons vers l’esplanade. Sans transition, il s’exclame :
« Les Français ne changeront jamais ! Même dans les
situations désespérées, ils sont incapables de s’unir.
Les Allemands sont à Marseille, Pétain à Vichy,
Giraud à Alger, de Gaulle banni à Londres, et les
mouvements se comportent comme si nous avions
déjà gagné pour établir leur pouvoir. »
Donatello est loin. Comme souvent, je le sens
exaspéré par les discussions oiseuses, alors que la
France est blessée à mort. Aujourd’hui, connaissant
l’indiscipline des chefs et la situation précaire du
Général, j’éprouve l’envie de lui manifester mon
attachement affectueux : « Heureusement que vous
êtes là pour les mater ! »
Il relève le mot : « Dans une démocratie, on ne
mate personne. Il s’agit de convaincre. Si nous voulons rétablir la République, il faut en respecter les
principes dans notre action. Ma fonction est d’imposer des institutions et une autorité. Si ce n’est pas
moi, ce sera un autre : personne n’est irremplaçable. Les problèmes doivent être réglés, quoi qu’il en
coûte. »
J’oublie ma timidité, révolté par ce que j’estime
une erreur de jugement sur lui : « Je suis sûr du
contraire : si vous n’étiez pas là, tout s’effondrerait,
et le Général serait perdu. Vous êtes la seule personne capable de faire obéir les chefs. Je souhaite
qu’à la Libération vous deveniez président duConseil. Votre présence sera indispensable pour
vaincre l’anarchie. »
Il
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