Alias Caracalla
zone sud. Là-bas, à l’exception
des responsables du CGE, rencontrés à leurs domiciles — cela m’avait semblé naturel au début de ma
mission et une folie ensuite —, tous les résistants
me donnaient rendez-vous au coin des rues ou sur
les quais. À Paris, il en va autrement.
L’accueil de ce dirigeant me semble très confiant :
non seulement il me reçoit dans son bureau, mais il
me fait asseoir et me questionne… sur la Résistance.Curieusement, cet homme engagé ignore presque
tout des mouvements.
Les 40 000 francs me valent des remerciements
chaleureux : « Je serais heureux de vous revoir
quand vous le souhaiterez. » D’une certaine manière,
cet accueil singulièrement amical m’inquiète : le
représentant de la CGT, auquel j’avais remis plus de
1 million, m’avait à peine dit bonjour, puis quitté si
vite que c’est à croire qu’il redoutait que je lui
reprenne son argent !
Ma curiosité va aussi au mouvement Défense de
la France, que je découvre également aujourd’hui.
Quand j’arrive au lieu de rendez-vous, je suis surpris d’y trouver toute l’équipe dirigeante, installée
au fond d’un café. Assis tous les trois, ils m’attendent en devisant. Leur jeunesse me met en confiance
lorsqu’ils m’invitent à m’asseoir sur la banquette.
Je suis en train de choisir quelque chose à boire
lorsque, par-dessus la carte, je vois entrer au loin
trois hommes qui m’ont tout l’air de la Gestapo. Je
me lève et dis à mes nouveaux camarades : « Partons
immédiatement. »
Sans un mot, ils m’imitent. À mi-chemin de la sortie, nous croisons les trois hommes, qui nous laissent
passer, je devrais dire échapper. Arrivés en haut des
Champs-Élysées, je leur murmure : « Dispersons-nous. Je vous envoie un nouveau rendez-vous. »
Sans leur serrer la main, je me dirige vers la chaussée afin de traverser vers l’avenue de Friedland.
Après une marche assez rapide, je me retourne : personne ne me suit. Je reviens sur mes pas et m’engage
dans la rue Arsène-Houssaye, entre les Champs etFriedland. Après un moment, je vérifie que je suis
seul. Ouf !
Heureusement, mes autres rendez-vous effacent
vite le souvenir de cette péniblerencontre 18 .
Vendredi 7 mai 1943
Regard de * Rex sur son action
Tous les papiers que * Rex désire avoir à Paris me
sont apportés par Van Dievort, via le train de 9 heures et demie, dont je suis familier. * Germain me les
remet avant le couvre-feu.
Ce soir, en rentrant chez moi, je sélectionne en
priorité dans cette masse de papiers le rapport de
*Rex. En dépit de sa date, d’aujourd’hui, ce long
rapport d’une dizaine de pages a dû être rédigé il y
a deux ou trois jours.
J’y apprends beaucoup de choses sur les opinions
du patron. Si je connais l’essentiel de ce qu’il pense
de * Brumaire, je découvre son jugement sur * Passy,
vis-à-vis duquel il m’a toujours paru modéré.
*Rex lui reproche avec raison d’avoir laissé
*Brumaire, pourtant son subordonné, modifier les
ordres du Général. Cependant, une bonne part du
rapport de * Rex est constituée par d’interminables
explications sur sa propre conduite, auxquelles s’ajoutent ses réactions à l’égard de l’OCM, son adversaire
irréconciliable.
Si j’avais pu lui donner mon avis, je lui auraisconseillé de traiter ce sujet mineur en quelques
lignes, au lieu de cinq pages — le tiers de son rapport !
Samedi 8 mai 1943
Le Conseil de la Résistance soutient de Gaulle
À la gare de Lyon, j’observe l’arrivée de * Rex avant
de le rejoindre dans un café à la sortie de la gare. Il
a les traits tirés, après une nuit passée assis dans
son compartiment, fût-il de première classe.
Je ne pose aucune question, mais pourquoi ne
voyage-t-il pas comme moi, dans un wagon-lit ? Après
que je lui ai signalé ses principaux rendez-vous, nous
descendons, pressés par la foule, vers le métro.
Il m’interroge à haute voix sur les expositions à
Paris et me livre l’intérêt provoqué à Lyon par certains artistes modernes et contemporains dont les
noms et les œuvres me sont inconnus. La plupart
du temps, j’écoute en perdant pied rapidement, faute
d’images pour me repérer.
Pour la première fois, il évoque les expositions
qu’il souhaite visiter à Paris. Je ne suis encore
jamais entré dans une galerie et, surtout, n’ai guère
de temps à gaspiller dans ce qui m’apparaît comme
une
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