Alias Caracalla
bien unfaux 19 . »
À l’heure dite, je lui apporte son rapport daté du
7 mai, enveloppé dans un journal, que je dépose sur
la table avec d’autres journaux. Il me demande
d’aller chercher * Coulanges, qui attend au métro
Villiers. Quand je reviens avec lui, les journaux sont
toujours sur latable 20 .
*Rex me fait signe de m’asseoir sur la banquette à
côté de lui. * Coulanges s’installe en face, devant les
journaux.
Au tour d’horizon effectué à Lyon * Rex ajoute quelques précisions sur les chefs des mouvements de la
zone nord. Il explique leurs divergences politiquesavec ceux de la zone sud, qui tiennent à leur spécificité et à leur goût pour les opérations militaires en
tout genre, plutôt qu’à des spéculations sur l’avenir
politique de la France.
*Coulanges aborde le problème de De Gaulle, qui
est de prendre pied en Afrique du Nord pour créer
un gouvernement provisoire de la France : « La
Résistance métropolitaine, dit-il, est pour lui un
atout majeur dans sa négociation avec Giraud.
— En fait, les négociations avec les mouvements,
et surtout les partis, ne sont pas achevées quant au
choix des représentants.
— Il est urgent qu’elles aboutissent. De Gaulle a
besoin d’un blanc-seing des résistances — mouvements, partis et syndicats. »
*Rex acquiesce, mais n’ajoute rien. Il se contente
de lui souhaiter bon voyage.
Lundi 10 mai 1943
Mes craintes sont-elles exagérées ?
Ce soir, je rejoins Pierre Kaan au restaurant.
Comme souvent, il m’invite à dîner, manière pratique de traiter les affaires en cours, tout en gagnant
du temps.
J’admire son esprit inventif de vieux Parisien, qui
me permet de découvrir des restaurants pittoresques
et peu coûteux, évidemment tous de marché noir.
Ce soir, je suis comblé : il m’a fixé rendez-vous au Catalan , rue des Grands-Augustins : « Il vous plaira.
Le Tout-Paris artistique et littéraire s’y retrouve. »
Effectivement, après nous être installés à une tableprès de la porte et avoir commandé le repas, un
vieux monsieur entre — Kaan me souffle son nom
à l’oreille : Picasso. J’écarquille les yeux devant cet
homme insignifiant, dont le nom m’est connu grâce
à * Rex.
Petit, l’œil vif, habillé en bourgeois négligé, il tient
accrochée à sa boutonnière la laisse de son chien,
un lévrier à poils longs, qui le suit. Il est accompagné d’une femme que Kaan me désigne comme son
égérie : Dora Maar. Elle a les yeux fixes et les traits
figés d’une femme contrariée. Ses lèvres pâles et
roses accentuent l’étrangeté de son visage.
Ils s’installent au fond de la salle, où des amis les
attendent. Kaan nomme Jean Cocteau et Michel
Leiris. « Il donne ses rendez-vous ici parce qu’il
possède un grand atelier au bout de la rue, près des
quais. »
Notre table est à l’écart. Le bruit des conversations
engloutit nos propos. Ici, tout le monde connaît tout
le monde. Jamais un Allemand n’y est venu. Kaan
n’en dit pas plus : nous sommes en sécurité.
Après avoir examiné quelques problèmes techniques, organisation de réunions, distribution de fonds,
réclamations des uns ou des autres, je lui pose la
question brûlante : « Que pensez-vous du Conseil
de la Résistance ?
— Les chefs sont tous contre, mais * Rex n’a pas
d’états d’âme. Ça va marcher. »
Je lui rappelle que * Brumaire a supprimé la
Commission permanente, à laquelle * Rex était attaché. Il paraît surpris par mon ton assuré : « Ce n’est
qu’un épisode. Au cours d’une bataille, il faut
savoir reculer afin de mieux préparer l’offensive.
*Rex accepte provisoirement la situation créée par
*Brumaire, mais son projet demeure intact. Il m’afait part de ses intentions lors de son dernier séjour. Il
créera la Commission permanente envers et contre
tout, quitte à modifier son appellation. Croyez-moi,
il est très fort. C’est un pragmatique et un exceptionnel stratège. Et puis c’est un pur. Les chefs pagailleurs
ne sont pas de taille. »
Grâce au Conseil de la Résistance, les trois mouvements de la zone sud se retrouvent aux côtés
des treize autres représentants de la Résistance. Du
coup, ceux qui prétendent depuis des mois l’incarner à eux seuls sont confrontés à la réalité : ils ne
représentent que le quart des résistances.
Comme la motion, les textes politiques seront
votés par tous, et les chefs
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