Alias Caracalla

je me bats pour obtenir des postes radio et des
opérateurs. En vain. Et puis, la Résistance est plus
dangereuse que tu ne le crois [il rit mais écoute].
Nous sommes ici pour vous aider, mais nous n’en
avons pas les moyens. D’ailleurs, * Charvet et * Bernard
[d’Astier] n’ont rien obtenu non plus ! »

    Il m’interrompt : « Je t’aime bien parce que tu es
vrai. Ta vie ne sera pas facile ! » Comment a-t-il
deviné que, jusqu’à la défaite, quoique comptant
parmi les privilégiés, la vie me fut cruelle ?

    Dimanche 6 juin 1943

     

    *Rex raconte le CNR

    Dès mon retour à Paris, je trouve le rapport de
*Rex apporté par Van Dievort. C’est ainsi que jeprends connaissance du déroulement de la première
réunion du CNR, dont * Rex n’a soufflé mot et à
laquelle j’avais participé à ma manière, dans la rue,
en compagnie de * Morlaix et * Champion.

    Tandis que je faisais le guet, pas une fois je n’ai
imaginé les péripéties à l’intérieur de l’appartement,
tant j’étais obsédé par les risques encourus par tous.
Seule comptait pour moi la sécurité de * Rex et qu’il
en sorte vivant. Les questions politiques n’étaient
pas de mon ressort.

    Je suis curieux d’un détail, sur lequel je n’ai pas
eu le courage de l’interroger  : A-t-il eu conscience de
vivre une journée historique ? Il n’y a jamais fait
allusion. Ce soir, je connais enfin son opinion.

    J’avais déjà reçu un commentaire à chaud de
Bidault quelques jours après le départ de * Rex. Il
m’avait révélé la passe d’armes entre * Colbert et le
patron et le vote de la motion enlevé à l’arraché par
*Rex, sous prétexte que la séance avait trop duré
pour la sécurité de tous : « Il a voulu faire voter la
motion immédiatement après la lecture que j’en ai
donnée. Comme d’habitude, il craignait que la discussion ne s’éternise et ne risque de tout remettre
en question. Dans ces circonstances, la peur est un
argument irréfutable. »

    Un détail me préoccupe : il n’y avait pas de secrétaire à la réunion, et personne n’a pris de notes pour
établir le procès-verbal. Habitué aux contestations
des chefs de la Résistance, je me demande si *Rex
n’a pas pris le risque de voir remis en cause certains acquis, voire le vote de confiance final ?

    À mesure que j’avance dans la lecture de ce long
rapport, je découvre les attaques des chefs de la zone
sud, en particulier celles de d’Astier de la Vigerie,
de Londres, qui se déshonore en accusant * Rex dene pas distribuer aux mouvements l’argent de la
France combattante, sous-entendant qu’il en conserve
une partie pour son usage personnel.

    Je suis humilié pour le patron : son rapport est
un plaidoyer qui démontre, chiffres à l’appui, sa rigueur financière. Je suis d’autant plus indigné que,
responsable personnellement de cet argent, j’en tiens
la comptabilitéquotidienne 1 , que * Rex fait expédier
chaque mois à Londres.

    Dans son rapport, auquel il joint le double des
pièces comptablesenvoyées 2 , * Rex prouve, sans
contestation possible, la rigueur de sa gestion.

    Mardi 8 juin 1943

     

    Un document secret

    J’ai hâte de rencontrer * Rex pour lui remettre la
copie d’une lettre de * Sermois adressée au général
de Gaulle le 1 er  juin, que j’ai reçue de Pierre Kaan.
Elle me brûle les doigts tant elle accuse le patron.

    « Lors de mon voyage à Londres, écrit Sermois,
j’avais l’impression que, “partisan d’une rénovation
totale”, vous désiriez vous appuyer sur divers milieux
de la Résistance. Certains camarades s’étonnent de
voir que l’activité de votre représentant ne correspond pas avec ce que j’aurais cru pouvoir leur
affirmer. » Conclusion : « Il serait préférable d’avertir la Résistance du rôle plus modeste qu’on attend
d’elle. »

    À ma grande surprise, cette lettre laisse * Rex
indifférent : « Vous avez lu dans mon dernier rapport à Philip la minutie de mes réponses : en démocratie, il n’y a jamais que des majorités. Je ne vais
pas adresser au Général un texte qu’il va recevoir
par d’autres voies. Il répondra ce qu’il voudra. Vous
pouvez constater qu’il conduit la France libre comme
il l’entend. »

    Je ne lui cache pas ma surprise devant sa passivité. Il réplique : « Ne dites pas n’importe quoi. Je
viens de présenter dans mon rapport la situation
réelle de la Résistance, et non les explications