Alias Caracalla
considérables distribuées
par * Bessonneau — plus de trois millions de francs
en quelques mois — et accepte difficilement la
conclusion : « Toute communication radio directe
du Vercors avec Londres doit cesser. »
Enfin, j’apporte un projet du CGE sur les procès
des collaborateurs après la Libération. C’est un sujet
dont nous parlons rarement avec mes camarades,
comme si notre silence méprisant suffisait à les
anéantir. En le remettant à * Rex avec les commentaires de François de Menthon, je m’abandonne à la
haine que nous partageons tous : « La justice n’aura
rien à faire. À la Libération, nous les tuerons tous. »
Rex me regarde sévèrement : « Ne parlez pas ainsi :
le dernier des tortionnaires a droit à la justice.
N’oubliez jamais notre différence avec les nazis. »
Il ajoute : « Parfois votre jeunesse vous égare. Le
problème de la Libération sera celui de la réconciliation des Français. Nous aurons besoin de tout
le monde pour reconstruire la France. Certes, il
faudra faire des exemples en condamnant les chefs
et les bourreaux notoires, mais pour le reste nous
devrons pardonner : ce sera le plus dur. »
Le patron me déconcerte toujours. À quoi bon nous
battre aujourd’hui si ce n’est pas pour nous venger
demain ?
Comme d’habitude, je conserve pour la fin les
documents les plus importants. C’est le cas d’une
motion que * Morlaix m’a confiée et qu’il a fait adopter par le comité de coordination qu’il a présidé en
l’absence de * Rex.
*Morlaix m’avait demandé de câbler ce texte directement auCFLN 3 à Alger. J’avais refusé, car je n’expédie jamais rien à Londres ou à Alger sans l’accord de
*Rex. Du coup, *Morlaix, mécontent, m’a rendu responsable du mauvais fonctionnement des liaisons.
Lorsque * Rex en prend connaissance, il le juge
d’une autre manière : « Il s’est laissé berner par les
communistes. Il accepte le texte que j’ai refusé au
cours de la première séance du Conseil. Il est vrai
qu’il n’y assistait pas, mais il connaît leur tactique
habituelle : dévorer leurs alliés. Nous avons besoin
d’eux, mais raison de plus pour être vigilants et
déjouer leurs manœuvres. »
Il ajoute : « Dites à * Morlaix qu’il doit faire voter par
le comité de coordination un texte conforme à celui
du CNR. Je refuse d’expédier celui-ci. Ici, en zone sud,
les mouvements ont voté le texte que je lui avais
confié. Les deux doivent être identiques. Transmettez-lui ce que je vous dis avant la séance de demain. S’ils
veulent une épreuve de force, ils l’auront. »
*Rex rédige une longue lettre à Kaan lui indiquant
les raisons de son refus et lui demandant de veiller
à ce que * Morlaix fasse voter le texte qu’ilpropose 4 .
Il me confie également un billet pour * Morlaix, dans
lequel il confirme le message oral que je dois lui
transmettre : « Quand je donne un ordre, j’entends
être obéi. » Je ne suis pas la seule victime de son goût
de la perfection. J’en éprouve un certain plaisir.
Comme au retour de tous mes voyages, * Germain
m’attend gare de Lyon. C’est toujours un réconfort
d’apercevoir au loin sa silhouette débonnaire dont
émane une force paisible.
Aujourd’hui, cette impression est trompeuse. La
nouvelle qu’il m’apporte est tragique : le général
Delestraint a été arrêté hier, au métro La Muette, en
compagnie de * Galibier, son officier d’état-major, et
de * Terrier, mon agent de liaison avec legénéral 5 . Je
l’avais choisi parce que je le jugeais à toute épreuve.
Il m’apportait les documents de l’Armée secrète, et je
lui transmettais les rendez-vous ou les ordres de * Rex.
*Germain me raconte ce qu’il sait de ces arrestations. Depuis hier matin, date d’un rendez-vous deDelestraint avec * Langlois, le général n’est pas venu
et personne ne l’a revu. Parmi les autres rendez-vous manqués, il y en avait un avec * Joseph, preuve
irréfutable d’une catastrophe.
Quant à * Terrier, il n’est venu à aucun de ses
rendez-vous avec * Germain. Plus grave encore pour
le secrétariat, Suzette, mon agent quotidien avec
Lyon, a elle aussi disparu. C’est la preuve d’une cascade d’arrestations.
*Germain n’en sait pas plus : ni ce qui s’est passé,
ni combien de camarades sont arrêtés. Un détail
m’inquiète : je ne comprends pas le lien entre ces
arrestations et celle de Suzette. Elle
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