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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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cantonnement.

    Nous n’avons plus rien à nous dire. Durant le
dîner, insensiblement, le silence se glisse entre nous.
L’émotion de notre séparation est usée par ses faux
départs. Arrivés devant la porte de sa barrack , nous
nous arrêtons. Spontanément, nous nous embrassons.
C’est la première fois depuis notre première rencontre à Saint-Elme. Je m’éloigne sans me retourner.

    Lundi 26 août 1940

     

    France , quotidien français

    Deux jours après la visite du roi George, le premier
numéro du quotidien France , imprimé à Londres,
est distribué dans le camp.

    En première page, une grande photo montre le
souverain, accompagné du général de Gaulle, passant devant le premier rang de notre compagnie. Nos
officiers en sont très fiers : la présentation des armes
est parfaite.

    Cette preuve de la présence du roi devient pour
nous une image fétiche : les soldats britanniques à
qui nous avons conté l’événement doutent de notre
récit, parce que la plupart d’entre eux n’ont jamais
reçu une telle visite. Ils nous jalousent.

    La photo est accompagnée d’un texte du Général,
définissant la mission qu’il nous a confiée :

Aucun Français n’a le droit d’avoir aujourd’hui
d’autre pensée, d’autre espoir, d’autre amour, que
la pensée, l’espoir, l’amour de la France.

    Mais quoi ? La patrie a succombé sous les
armes. Elle ne renaîtra que des armes.

    Ceux qui voudraient croire ou faire croire que
la liberté, la valeur, la grandeur, pourraient se
recréer sous la loi de l’ennemi sont des inconscients ou des lâches.

    Le devoir est simple et dur. Il faut combattre.

    De Gaulle nous a compris : il exprime notre volonté
d’absolu. Son imprimatur garantit la pureté doctrinale de notre légion.

    La parution du journal change ma vie : je suis de
nouveau relié au monde par une habitude familiale.
Chaque jour, après l’exercice, je guette l’heure de la
distribution. Je commence à mesurer l’importance
de toutes les parties du globe dans l’évolution de la
guerre, notamment des États-Unis, dont dépend la
survie de la Grande-Bretagne. Je prends également
conscience de l’existence des pays de second ordre,
Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie, Grèce, devenus
des enjeux stratégiques.

    La France mobilise ma curiosité. Grâce à la
« Revue de presse », ne citant que des journaux français, et bien qu’elle soit réduite, comparée à celle de L’Action française , je reprends mes habitudes. À travers les citations d’articles, j’essaie de comprendre
l’évolution des Français, celle du gouvernement, des
partis politiques ou des problèmes pratiques d’une
existence quotidienne impossible à imaginer.

    Malgré tout, depuis quelques semaines, la France
s’éloigne. Elle perd sa densité.

    Jeudi 29 août 1940

     

    Départs, encore une fois

    Je ressens le départ de Philippe plus violemment
encore que l’arrachement à ma famille sur les quais
de Bayonne. Peut-être parce qu’elle ranime la plaie
de ce premier départ, si lente à cicatriser ; peut-être
aussi, plus simplement, parce qu’il est mon seul ami.

    J’envie les Bretons partis en groupe et poursuivant leur existence, entourés de camarades. Ils sont
gardés de la nostalgie. En permanence, ils évoquent
passé, famille, amis, aventures, Brest et la Bretagne,
comme on touche un grigri pour se prémunir contre
le chagrin de l’exil.

    Est-ce le départ de Philippe ? Ce dimanche, allongé
sur mon lit, je ne peux me concentrer de toute la
journée.

    Je ne suis pas le seul chasseur à déplorer ce départ :
notre petite armée s’ampute des trois quarts de ses
effectifs. Le camp de Morval est vidé ainsi que les barracks situées de l’autre côté du parad ground .

    Rödel, mon plus ancien camarade de Saint-Elme,
est parti lui aussi, ainsi que quelques garçons du Léopold II  : Bianchi, Laborde et les frères Moureau.

    Il y a aussi Raymond Aron, dont le départ aggrave
ma solitude. Bien que notre relation n’ait duré que
quelques semaines, j’ai le sentiment de le connaître
depuis toujours.

    Samedi 7 septembre 1940

     

    Londres à nouveau

    Première permission de vingt-quatre heures. Dans
le train de Cove, je retrouve le confort qui m’a surpris à mon arrivée. Deux mois déjà !

    Lorsque les premières maisons de la capitale
apparaissent, mes camarades, debout aux fenêtres,
poussent des clameurs : « Le feu ! le feu ! » J’aperçois

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