Alias Caracalla
que
nous la vivions comme une marque distinctive de la
légion de Gaulle. Hélas ! la hiérarchie fondée sur la
disparité sociale et le niveau d’études nous divise à
nouveau.
Ceux qui sont sélectionnés pour devenir des officiers rejoindront, à la fin du peloton, ceux qui ont
été nos maîtres. Ce n’est pas sans tristesse que nous
prenons conscience de nous préparer à devenir les
« supérieurs » de ceux qui ont été fraternellement
nos égaux.
Je ressens cette transformation comme une injustice. Notre engagement de « hors-la-loi » a fait de
nous des condamnés à mort, condition idéale d’une
fraternité égalitaire. Au contact du paysan Léon ou
des ouvriers de l’arsenal de Brest, j’ai découvert des
qualités d’énergie, d’endurance, dont je ne me doutais pas.
Dois-je ajouter que mes dernières années scolaires ont été un cauchemar, dont la guerre m’a
sauvé ? Je me suis engagé dans l’armée pour me
battre, non pour recommencer des études que je
réprouve. Jamais, depuis juillet 1940, je n’ai été
rebuté par les servitudes de l’armée, bien qu’elles
soient parfois exténuantes : elles ont l’avantage de
n’exiger aucune qualité intellectuelle.
C’est ce que j’expose respectueusement au lieutenant Saulnier aujourd’hui, après qu’il a lu, devant
notre chambrée, la liste des élèves aspirants, dont je
fais partie. Le lieutenant me regarde comme si
j’étais devenu fou :
Vous vous êtes engagé pour servir la France.
Dans l’armée, on obéit. Votre cas, comme celui
de vos camarades, a été examiné. C’est dans le
rôle d’officier que vous rendrez à la France les
meilleurs services. Vous pouvez disposer.
Je claque les talons et salue respectueusement
pour lui prouver ma reconnaissance d’avoir fait de
moi un soldat, mais aussi qu’en dépit de ma déception j’accepte volontairement la discipline qu’il m’a
inculquée.
Pour les élèves officiers, la journée se passe à
déménager. Nous changeons de hut et nous installons de l’autre côté du parad ground , enfin achevé,
dans un ensemble de huts destiné au peloton.
Samedi 7 décembre 1940
Déménagement
La réorganisation commence : nous pataugeons
dans la boue gluante toute la journée. Heureusement, un seul jour suffit pour changer de hut , de
camarades, de chef.
J’appartiens désormais à la 3 e compagnie, celle
des élèves aspirants, dirigée par le lieutenant Sthal.
Différent du capitaine Lalande, il affiche une
réserve permanente, qu’il tient sans doute de son
ministère de pasteur dans le civil. Ma section, la 4 e ,
est commandée par un officier de chasseurs ralliés
de Norvège, le lieutenant Dureau.
Dans la hut qui nous est affectée, construite dans
une partie moins éventée du camp, je suis entouréde quatre camarades de l’Olympia : Briant, Guéna,
Léon et Podeur. Instinctivement, nous choisissons
de rester groupés et nous installons dans des lits
voisins de l’entrée.
D’autres camarades, Beaugé, Loaec, Boilley et
Carage, venus de la compagnie Dupont, s’établissent au fond. Depuis six mois, nous manœuvrons
ensemble et prenons nos repas à la cantine. Le soir,
les chasseurs, particulièrement les Bretons, visitent
leurs camarades d’une chambrée à l’autre.
Cette rupture inopinée me fait prendre conscience
des liens invisibles mais tenaces que notre entraînement accéléré a créés entre les inconnus que
nous étions il y a cinq mois. Des amitiés sont nées
(Beaugé, Carage, Daruvar, Kœnigwerter, Loncle,
Vourc’h…), mais l’esprit de la compagnie n’est plus
tout à fait le même : nous nous retrouvons davantage « entre soi », jeunes gens d’un même milieu
scolaire et social.
De surcroît, la section compte désormais moins
que l’individu, puisque nous préparons un concours.
Sur les cent vingt élèves de départ, une vingtaine
seulement deviendront aspirants.
Dans les exercices et les manœuvres que nous
poursuivons, une nouveauté de taille apparaît : à
tour de rôle, nous commandons pour apprendre à
diriger les trente-six hommes d’une section. À quoi
s’ajoutent devoirs et leçons. Je vis le temps de ce
peloton comme une régression vers les études honnies ; ce sont les pires moments de mon exil.
Mardi 24 décembre 1940
Noël avec de Gaulle
Le général de Gaulle vient passer la veillée de
Noël avec nous. Après quoi, nous aurons droit à
une permission
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