Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
nouvelle de la démission de Thomas est l’occasion pour le roi de piquer une de ses célèbres colères. Celle-ci n’est pas feinte. Il est réellement surpris, comme le sont tous ses contemporains. En refusant d’assurer conjointement les fonctions de chancelier et d’archevêque de Canterbury, Thomas ruinait le bel édifice politico-religieux qu’Henri et Aliénor étaient en train de mettre en place. Et cela de manière totalement unilatérale et sans raisons politiques car rien n’interdisait le « cumul » des fonctions ; son prédécesseur, Thibaud de Canterbury, avait en son temps été chancelier du roi Étienne. L’autocrate Henri II était en passe de réussir un coup politique remarquable – et remarqué dans toute l’Europe – en plaçant à la tête de l’Église d’Angleterre un homme qui lui était entièrement dévoué et dont les capacités et la rigueur morale étaient unanimement respectées. Cette fois encore, Henri était à contre-courant de son époque, caractérisée entre autres par un durcissement des rapports entre pouvoir religieux et pouvoir civil ; l’affrontement entre Alexandre III et Frédéric Barberousse en était l’illustration la plus éclatante. On comprend que le roi ressente la décision de Thomas comme une trahison, mais aussi comme une désobéissance caractérisée.
Il devient indispensable pour les souverains anglais de se rendre en Angleterre et de rencontrer l’archevêque. Ils décident de tenir leur cour de Noël 1162 dans l’île mais une tempête sur la Manche les en empêche et c’est à Cherbourg qu’ils terminent l’année.
Henri et Aliénor débarquent à Southampton dans le courant de février 1163. Tout le monde craint les retrouvailles entre Henri et Thomas. Contre toute attente, les choses se passent au mieux. Apprenant l’arrivée du roi, l’archevêque s’est précipité à sa rencontre accompagné d’Henri le Jeune dont il a toujours la garde. Les deux hommes tombent dans les bras l’un de l’autre, d’après Herbert de Bosham, témoin de la scène. Le premier jour, les deux hommes se parlent peu, Henri et Aliénor se reposent des fatigues de la traversée. Le lendemain la cour prend la route pour Londres. Bosham décrit le roi et son ancien chancelier chevauchant côte à côte « à l’abri des oreilles importunes, en toute familiarité, parlant à cœur ouvert ». N’en déplaise aux ennemis de Thomas, rien ne semble avoir changé dans la belle amitié qui unit les deux hommes. Pourtant il ne s’agit là que d’une façade. Leurs rapports vont se dégrader en quelques mois à peine. Ils vont se heurter sur des problèmes de spoliations de terres dont l’Église avait été victime pendant le règne d’Étienne de Blois. Chancelier du roi, Thomas avait réglé beaucoup de questions de ce genre, mais il était maintenant « passé de l’autre côté » et défendait âprement les intérêts de l’Église. Néanmoins le point le plus préoccupant concernait les privilèges des juridictions ecclésiastiques. En effet, les clercs échappaient à la justice du roi et n’étaient soumis qu’à la justice ecclésiastique, y compris pour des affaires de droit commun comme les vols ou les meurtres. Pour le roi, cette situation était insupportable. D’autant que l’Église se montrait intransigeante sur ce qu’on appelait le for séculier. Autant on parvenait à négocier et à s’entendre lorsqu’il s’agissait d’une nomination d’évêque ou d’abbé, autant en matière de juridiction l’Église se montrait d’une indépendance farouche et déployait tous les artifices possibles pour soustraire le moindre de ses membres aux juridictions civiles. Le prétexte en était que la condamnation d’un clerc par un tribunal civil nuisait au prestige et au respect dus à la condition religieuse. Comme on peut aisément s’en douter, la population considérait le for séculier comme un privilège inacceptable !
Le roi et l’archevêque vont s’affronter une première fois sur des questions financières. En juillet 1163, Henri et Aliénor tiennent leur cour à Woodstock. La plupart des barons du royaume sont présents, y compris le roi Malcolm d’Écosse et les princes de Galles du Nord et de Galles du Sud, qui font à nouveau serment d’allégeance au roi, cette fois-ci accompagné de son fils aîné Henri le Jeune.
Le Plantagenêt en profite pour réorganiser les finances royales. C’est sur la
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