Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
d’Angoulême, Guillaume Taillefer. La méthode est contestable mais elle a le mérite de calmer les ardeurs de rébellion pendant un temps. C’est aussi une manière pour Henri de montrer que, même si, officiellement, il place son fils sur le trône d’Aquitaine et semble ainsi lui confier le gouvernement de la province, il ne s’agit là que d’une apparence et qu’il reste le maître absolu.
Aliénor, quant à elle, paraît se satisfaire de cette situation. En réalité, elle a pesé de tout son poids pour que ses deux fils aînés rendent hommage au roi de France. La reine ne peut que souhaiter cette officialisation de la continuité dynastique, d’autant qu’elle a obtenu ce qu’elle souhaitait pour Richard.
18 La cour de Poitiers
La reine Aliénor n’a pas assisté aux cérémonies de Montmirail qui pourtant marquent le premier acte politique de ses deux fils aînés. Nos pouvons penser que ni Louis ni Henri ne tenaient à sa présence. Pourtant, Henri ménage Aliénor car il a compris que, sans elle, il n’arrivera jamais à instaurer un semblant de pouvoir Plantagenêt sur les terres de la duchesse. Après Montmirail, le roi « remet de l’ordre » de manière musclée en Poitou mais ne s’y attarde pas et laisse à la reine le soin de gouverner ses États. Elle seule incarne la légitimité du pouvoir sur l’Aquitaine et le Poitou. Le lien est réel et profond entre la reine et ses vassaux ; au cœur même de la « guerre » qui opposera le roi et la reine d’Angleterre, jamais Henri n’osera menacer l’intégrité physique de sa femme. Je suis persuadé qu’une des raisons – il y en eut d’autres sans aucun doute – en est la crainte de voir l’Aquitaine et le Poitou faire immédiatement sécession. En l’occurrence, sur les terres d’Aliénor, le pouvoir du roi est limité par celui de la duchesse, qui lui-même est limité par le pouvoir royal. C’est un équilibre qu’Henri et Aliénor ont été contraints de maintenir ; probablement au corps défendant du Plantagenêt.
À partir de l’année 1167, et jusqu’en 1173, Aliénor réside, la plus grande partie de son temps, dans ses terres et, aussi souvent qu’elle le peut, à Poitiers qui est « sa » ville, la capitale des ducs d’Aquitaine. Henri parcourt l’empire en tous sens, guerroyant quand il en est besoin car, à l’époque, la guerre est une méthode de gouvernement {51} , continuant son bras de fer avec Louis VII, et jouant de ses alliances avec le pape ou l’empereur d’Allemagne, au gré de ses intérêts, en particulier au sujet de l’« affaire Becket » qui ne parvient pas à trouver de solution, malgré les tentatives de conciliation d’Alexandre III et du roi de France. Le caractère du roi change, il devient de plus en plus imprévisible, de plus en plus agité, violent même — ses colères effraient de plus en plus son entourage —, menant sa cour selon ses humeurs, épuisant les gens autour de lui.
Si la personnalité du roi se modifie, la cour continue à réunir autour de lui clercs, administrateurs, conseillers ; le roi reste un fin lettré qui aime à s’entourer de brillants esprits. Gautier Map nous a décrit cette atmosphère de servilité et de jalousie entourant Henri II. C’est sans doute la grande différence avec la cour d’Aliénor à Poitiers. Tout aussi brillante que celle du roi d’Angleterre, la cour de Poitiers semble un havre de calme, de douceur de vivre et de bonne humeur où l’on ne trouve pas cette atmosphère de veulerie qui flotte autour du Plantagenêt.
C’est à Poitiers que la reine a le plus imprimé sa marque. Régine Pernoud le souligne : « De toutes les villes qu’Aliénor a parcourues dans sa vie si mouvementée, il n’y en a aucune où on la retrouve mieux qu’à Poitiers. La cité favorite des ducs d’Aquitaine, la terre privilégiée où pour la première fois avait éclos la poésie des troubadours, a gardé à travers le temps l’empreinte de son passé roman. Une partie de ses remparts est restée telle qu’au moment où ils défendaient la reine d’Angleterre contre les attaques possibles de vassaux en révolte. Nous pouvons voir aujourd’hui le baptistère Saint-Jean, l’église Saint-Hilaire et, en partie au moins, Sainte-Radegonde tels à peu près qu’Aliénor les a vus ; la belle façade de Notre-Dame-la-Grande est celle qu’elle a pu contempler et elle a vu s’élever, pierre à pierre, la grande salle du
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