Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
elle reçut en héritage la poésie des troubadours. Sur ce plan également, Fontevraud joue un rôle. Selon une théorie célèbre de Reto Bezzola, Guillaume IX avait inventé l’amour courtois comme une « réponse laïque » à la fondation de Fontevraud qui séduisait par sa particularité : moines et moniales étaient placés sous l’autorité d’une abbesse qui devait être veuve ; une femme ayant vécu sous la domination des hommes et qui maintenant commandait à des dizaines d’entre eux. Être veuve voulait aussi dire qu’elle avait été mère et qu’elle était ainsi la plus capable d’être la « mère » des moines et des moniales. Aliénor représente à la fois l’histoire d’une famille puissante, un pouvoir ancien, des personnalités hors du commun et une tradition culturelle unique. Mieux que la représentation, elle est l’incarnation de tout cela. Et c’est tout cela qu’elle apporte à Henri dans sa corbeille de mariée.
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Sur Henri, nous disposons d’infiniment plus de renseignements que sur sa femme. On serait tenté de dire que pour l’époque, c’est normal : c’était un homme et il était roi ! De plus, les Plantagenêt se sont montrés très vite soucieux de se construire une légende inscrivant leur lignée dans une continuité historique, comme nous le verrons un peu plus loin, et ont encouragé et favorisé les travaux de nombreux historiens et de chroniqueurs, plus ou moins hagiographiques.
Henri est né le 5 mars 1133. Nous ne disposons pas d’iconographie le concernant, comme c’est le cas pour tous ses contemporains, mais une description assez précise de son physique nous est parvenue sous la plume de Pierre de Blois, un familier du roi, dans une lettre écrite en 1177. Henri est alors âgé de quarante-quatre ans. Il est de taille moyenne mais puissamment charpenté, musclé, ses cheveux sont blonds tirant vers le roux, il a les yeux gris qui s’injectent de sang lorsqu’il se met en colère – ce qui lui arrive souvent ! –, un visage carré, une tête ronde et un nez proéminent ; Pierre de Blois insiste sur les « jambes équestres » du souverain : « Bien qu’elles soient affreusement blessées et couvertes de bleus par les ruades fréquentes des chevaux, il ne s’assied jamais, sauf sur une monture ou à table. » Il se dégage de la personne même d’Henri une impression de puissance et de mobilité ; là-dessus tous les chroniqueurs sont d’accord : le Plantagenêt semblait être une incarnation du mouvement perpétuel. Était-il beau ? Difficile de répondre à cette question, les canons de beauté sont très fluctuants. Il n’avait rien de la grâce éthérée qui plaisait aux romantiques, de la finesse poudrée et perruquée en vogue au XVIIIe siècle ou des princes bouclés et bijoutés de la Renaissance. À une époque où l’on attend d’un seigneur aussi puissant que lui d’être avant tout un guerrier sans cesse sur la brèche pour faire respecter son autorité, ses intérêts, et ceux de ses vassaux – ce qui pour le moins nécessitait une santé de fer –, la puissance et la solidité qui se dégageaient de lui devaient être rassurantes. Et on peut avancer que le jeune homme était à l’époque pourvu d’un solide tempérament. Au moment de son mariage avec Aliénor – il a dix-neuf ans – Henri est père de deux bâtards élevés, selon l’usage du temps, dans sa maison. Comment une femme n’aurait-elle pas trouvé séduisant un tel prince ?
Le jeune homme était également un fin lettré ; tous ses contemporains, y compris ses détracteurs, sont d’accord sur ce point. L’éducation et la culture des princes sont une tradition dans la famille des comtes d’Anjou. Un des ancêtres d’Henri, Foulques le Bon, ayant appris que dans l’entourage du roi de France Louis IV on se moquait de lui parce que, pendant la messe, il chantait dans le chœur comme un moine, avait écrit : « Au roi des Francs, le comte des Angevins. Sachez seigneur qu’un roi illettré est un âne couronné. » La lettre avait dû être envoyée vers les années 950, mais la phrase était restée célèbre et on peut, sans craindre de trop s’avancer, penser que le jeune Henri l’avait très souvent entendue durant son enfance et son adolescence.
Sur l’éducation du jeune prince, nous en savons également plus que sur celle d’Aliénor. Les noms de ses principaux précepteurs nous sont parvenus ; ils montrent
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