Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
dans l’exportation des vins et de la métallurgie ; jusque-là, les Angevins ne possédaient pas d’ouverture vers la mer autre que les ports de Normandie beaucoup plus éloignés. Le duché de Normandie a été, après la Touraine, la deuxième « bonne affaire » des Plantagenêt. Ils s’en sont emparés en 1144 après le mariage de Geoffroy le Bel avec Mathilde, héritière du précédent duc-roi d’Angleterre. Une province riche et prospère en particulier grâce à ses liens commerciaux privilégiés avec l’Angleterre depuis l’invasion de l’île par les troupes de Guillaume le Conquérant en 1066 ; riche aussi de villes comme Rouen, Caen ou Bayeux.
Le mariage d’Henri avec la duchesse d’Aquitaine constitue la troisième « bonne affaire » des Angevins. Ainsi, en un peu plus d’un siècle et demi, les comtes d’Anjou, par leur obstination et leur capacité à faire parler les armes, ont accru leur pouvoir pour en arriver à la situation que connaissent Henri et Aliénor et qui va leur permettre de créer un empire.
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Pour cette période de quelques jours qui suit immédiatement le mariage, nous sommes curieusement mieux renseignés sur l’état d’esprit d’Aliénor que sur celui d’Henri. Peu avant le départ des deux époux pour l’Aquitaine nous voyons Aliénor se rendre, seule semble-t-il, dans plusieurs monastères. À certains elle accorde de nouveaux privilèges, à d’autres elle confirme les anciens. Les textes de ces donations nous enseignent deux choses essentielles sur la personnalité de la jeune femme : elle s’affirme comme la descendante des ducs d’Aquitaine montrant par là que son domaine lui appartient – c’est sans doute un signal à destination d’Henri –, et semble vouloir effacer les traces de son ancienne union avec Louis. Un grand nombre de concessions signées par Louis VII en tant que duc d’Aquitaine sont déclarées nulles et résignées ensuite par Aliénor ; c’est une pratique assez courante, une sorte de « passe-passe » administratif qui permet d’asseoir symboliquement un nouveau pouvoir. Il est cependant intéressant de souligner que tous les actes officiels faits par Aliénor au cours de cette période sont signés de son nom et non de celui d’Henri qui est pourtant le nouveau duc d’Aquitaine et pourrait légitimement vouloir marquer son arrivée.
Le 26 mai 1152, huit jours après le mariage, la duchesse est à l’abbaye de Montierneuf où elle se recueille sur la sépulture de Guillaume le Troubadour. Elle confirme aux moines tous les privilèges et donations faits par son père, son grand-père et ses aïeux, mais elle ne mentionne pas Louis qui lui aussi avait doté l’abbaye. Le lendemain, elle préside une cérémonie solennelle à l’abbaye de Saint-Maixent. La main sur un missel posé sur l’autel de l’église de l’abbaye, elle, « Aliénor, par la grâce de Dieu duchesse d’Aquitaine et de Normandie, unie au duc de Normandie, Henri, comte d’Anjou », confirme de vive voix le don d’un bois fait aux moines. Le texte de la charte précise : « Quand j’étais reine avec le roi de France, le roi a fait don du bois de la Sèvre à l’abbaye, et j’ai, moi aussi, donné et concédé ce bois ; puis, séparée du roi par le jugement de l’Église, j’ai repris pour moi le don que j’en avais fait ; mais sur le conseil d’hommes sages, et à la prière de l’abbé Pierre, ce don que j’avais d’abord fait comme à regret, je l’ai renouvelé de plein gré… une fois unie à Henri, duc de Normandie et comte d’Anjou. » Tout est dit dans ces quelques phrases.
Ce qui nous en dit plus encore sur les sentiments d’Aliénor, c’est le texte de la charte qu’elle dicte pour l’abbaye de Fontevraud quelques jours plus tard. Régine Pernoud, et avec elle tous les biographes d’Aliénor, soulignent l’émotion, bien loin d’une phraséologie officielle, que révèlent ces quelques lignes. Au travers des siècles, Aliénor semble nous parler et, par la légèreté qui se dégage de ses mots, nous laisser percevoir sa joie de femme amoureuse, pleine d’espoir dans sa vie à venir aux côtés d’Henri : « Après avoir été séparée, pour cause de parenté, de mon seigneur Louis, le très illustre roi de France, et avoir été unie par le mariage avec mon très noble seigneur Henri, comte d’Anjou, touchée par une inspiration divine, j’ai souhaité visiter la sainte congrégation des
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