Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
Mais l’a-t-elle imaginé ? Personnellement, j’ai du mal à le croire. Elle est trop fine pour cela. Elle veut exercer le pouvoir, certes, mais elle sait qu’elle ne peut le faire sans un homme à ses côtés, un homme qui doit être fort. Elle ne pouvait rêver mieux qu’Henri. Et puis il y a ce tempérament de feu que lui prêtent ses détracteurs. Ils ont sans aucun doute exagéré. La duchesse n’était pas la Mélusine, la mangeuse d’hommes qu’on a voulu montrer. Elle devait cependant être pourvue d’un certain tempérament que son précédent mari n’avait guère contenté. De ce côté-là, il semble que l’entente entre les nouveaux époux ait été parfaite.
Sur la question des sentiments, qu’en est-il d’Henri Plantagenêt, comte d’Anjou et du Maine, duc de Normandie, un jeune homme, promis à un brillant avenir ? Est-il amoureux ? Nous n’avons pas de textes qui nous permettent de connaître avec certitude, comme pour Aliénor, son état d’esprit. Et d’ailleurs, est-ce une question qu’il faut se poser ? Le mariage d’amour est une invention récente que l’on doit aux romantiques. À l’époque d’Henri et à ce niveau social, on ne se marie pas par amour, on s’allie. Il n’est pas question de nier la part des sentiments, des affects, dans la vie. Simplement on ne la place pas dans le mariage. L’exemple de Guillaume le Troubadour nous le rappelle, mais il n’est pas le seul, loin de là. En l’occurrence c’est Aliénor qui détonne en affichant autant de sentiments pour son mari ; tout comme Louis VII détonnait en aimant sa femme si profondément. S’il n’est pas possible de répondre précisément à la question sur la nature des sentiments d’Henri envers sa femme, il est possible d’imaginer que, s’il n’était pas amoureux au sens où nous l’entendons aujourd’hui, il devait pour le moins être séduit par Aliénor… comme tombé sous le charme ! À dix-neuf ans, Henri fait preuve d’une grande maturité. Il est sans contestation, depuis la mort de son père, le maître de la Normandie, de la Touraine et de l’Anjou. La manière dont il s’est arrangé pour déposséder son frère de la part de l’héritage paternel lui revenant en dit long sur les capacités, l’habileté et le degré de scrupules du jeune homme. Il a été élevé pour régner et il a bien appris de ses maîtres. Le mariage avec une femme plus âgée que lui et ayant porté une couronne n’est pas sans rappeler le mariage de son père, Geoffroy le Bel, et de sa mère, Mathilde, veuve d’un empereur d’Allemagne. Henri sait le prestige qu’en son temps ce mariage avait apporté à la famille d’Anjou et aussi la fortune qui en avait découlé puisque c’est par cette union que la Normandie s’était ajoutée au domaine des Plantagenêt et qu’Henri peut prétendre à la couronne d’Angleterre. Pourquoi ne pas supposer que l’exemple paternel ait joué dans le désir du jeune homme d’épouser Aliénor ? Le couple formé par ses parents est, pour lui, un modèle qu’il peut songer sans rougir à reproduire. Malgré la très grande différence d’âge qui les séparait – plus importante que celle existant entre Henri et Aliénor –, ils se sont toujours très bien entendus. Ensemble ils ont administré leurs territoires et tenté à plusieurs reprises de faire valoir les droits de Mathilde sur la couronne anglaise. L’Emperesse reste, après la mort de Geoffroy, un personnage à l’autorité certaine et qui conseille son fils, Henri, sans toutefois avoir une influence prépondérante sur lui ; il l’écoute, la respecte, éprouve sans doute une certaine admiration pour elle, mais désormais il est le « chef ».
Il n’en demeure pas moins que le couple formé par ses parents est un modèle auquel le jeune homme s’est sans doute référé, consciemment ou non, lorsqu’il a choisi d’épouser Aliénor. Il a pu se rendre compte de l’intelligence de la jeune femme, de son sens politique et je suis persuadé qu’il a très vite compris qu’elle serait un soutien moral pour réaliser les immenses projets que son ambition lui inspire. Tout comme sa mère avait été un soutien pour son père et le restait pour lui-même. Ce qu’il n’avait peut-être pas imaginé, c’est qu’intimement leurs deux personnalités s’accorderaient. Doit-on considérer que les huit enfants qu’ils ont eus ensemble en sont une preuve ? Plus significatif, on ne
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