Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
vierges de Fontevraud et, par la grâce de Dieu, j’ai pu réaliser cette intention que j’avais dans l’esprit. Je suis donc venue, conduite par Dieu, à Fontevraud, j’ai franchi le seuil où se rassemblent les moniales et là, le cœur plein d’émotion, j’ai approuvé, concédé et confirmé tout ce que mon père et mes ancêtres ont donné à Dieu et à l’église de Fontevraud, et notamment cette aumône de cinq cents sous de monnaie poitevine que le seigneur Louis, roi de France, au temps où il fut mon époux, et moi-même, nous avions donnée. » L’émotion de la jeune femme est d’autant plus remarquable, pour nous qui connaissons la suite de l’histoire, que ce texte est écrit lors de la première visite qu’Aliénor fait à cette abbaye qui deviendra son lieu de prédilection et où elle sera enterrée aux côtés d’Henri.
Cette rencontre avec Fontevraud est une sorte de matérialisation du tournant opéré dans la vie d’Aliénor et marque le début du couple formé avec Henri. Je parlais plus haut d’une période heureuse qui commençait ; Fontevraud accompagnera leur vie, de près ou de loin. Et comme pour mieux marquer un lien avec l’histoire – une continuité en quelque sorte –, l’abbesse qui reçoit Aliénor en mai 1152 est Mathilde d’Anjou, une tante d’Henri, fille du second Foulques, celui qui était devenu roi de Jérusalem. Très jeune elle avait ressenti la vocation religieuse et était entrée à Fontevraud pour y prendre le voile. Malheureusement, avant qu’elle ait pu prononcer ses vœux, la politique l’avait rattrapée et obligée à retourner dans le monde. Son père l’avait mariée à Guillaume Adelin, fils du roi d’Angleterre Henri 1er Beauclerc et héritier du trône. Peu de temps après le mariage Guillaume avait tragiquement trouvé la mort dans le naufrage de la Blanche-Nef. Mathilde devenue veuve était retournée à Fontevraud où elle avait pu mener enfin la vie religieuse qu’elle souhaitait. Par un de ces étranges raccourcis de l’histoire, en ce mois de mai 1152, elle qui avait failli devenir reine d’Angleterre recevait pour la première fois dans son abbaye celle qui allait le devenir moins de trois ans plus tard.
Après son passage à Fontevraud, Aliénor rejoint Henri et tous deux commencent une visite de l’Aquitaine. Imaginons-les entourés d’une petite escorte, chevauchant l’un à côté de l’autre, allant de ville en ville, de château en château, s’arrêtant pour parler à des villageois, à un petit seigneur ou à des bourgeois qui les accueillent dans leur ville ; admirant un paysage ou s’assurant de la bonne tenue de la récolte à venir. Sur ce point, ils ne devaient pas manquer d’inquiétude car les vendanges s’annonçaient mauvaises, aussi mauvaises que l’année précédente. Ne nous y trompons pas, un tel voyage n’a rien du romantique « voyage de noces » que nous pourrions imaginer aujourd’hui. Si la mobilité est la forme habituelle de gouvernement de l’époque, visiter les terres d’Aliénor est, pour les deux époux, une nécessité. Henri est un homme pressé. Il lui faudra retourner assez vite en Normandie préparer son invasion de l’Angleterre. Il doit s’assurer de la coopération de l’Aquitaine. Aliénor, de son côté, doit affirmer son pouvoir sur des vassaux traditionnellement turbulents et frondeurs vis-à-vis de leur duc. Sur ce point, la jeune femme n’a pas trop de souci à se faire. Le souvenir de la croisade est encore très présent dans les esprits. Deux ans durant la duchesse avait vécu au quotidien avec un grand nombre de ses vassaux. Cette promiscuité et les circonstances difficiles qu’ils avaient rencontrées avaient tissé des liens solides : Aliénor était incontestablement « la » duchesse des seigneurs aquitains ; il allait leur falloir maintenant accepter Henri. Aliénor aurait à travailler dans ce sens.
Cette chevauchée en Aquitaine comporte néanmoins une dimension plus sentimentale. Même si nous avons affaire à deux grands politiques, on peut penser que pendant ces quelques semaines – pas même un mois –, les jeunes époux se découvrent. Aliénor est amoureuse. Elle a trouvé l’homme de sa vie, mais elle se rend compte que la forte personnalité d’Henri n’en fera pas un compagnon facile. Bien que plus jeune de dix ans, il entend être le maître. Si Aliénor a imaginé le mener par le bout du nez… elle s’est trompée !
Weitere Kostenlose Bücher