Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
Yves Sassier {14} le même chroniqueur dépeint Aliénor « profondément affligée » par la décision du concile de Beaugency ; nous savons ce qu’il en était en réalité.
Louis VII a-t-il été surpris par la nouvelle du remariage de son ex-femme et par le nom de l’époux qu’elle s’est choisi ? Sans doute pas. Souvenons-nous de la rapidité avec laquelle la séparation avait été décidée après l’été 1151 où Henri était venu à Paris et avait rencontré Aliénor. La jeune femme n’avait eu de cesse, dans les semaines suivantes, de précipiter la séparation et certains chroniqueurs avaient noté l’état de jalousie permanent dans lequel le roi de France se trouvait. En revanche la rapidité avec laquelle Aliénor s’est remariée l’a probablement surpris. Humainement, il a sans doute été blessé. L’homme encore amoureux s’est senti trahi, bafoué.
Le roi, de son côté, a de quoi considérer la situation politique créée par ce mariage avec beaucoup d’inquiétude. Depuis plus d’un siècle une des constantes de la politique des souverains capétiens a été de maintenir un équilibre entre leurs deux riches et puissants vassaux : la famille d’Anjou et la famille de Blois-Champagne. Nous l’avons vu, le roi de France est un « petit » seigneur par rapport à ces deux vassaux puissants par leur richesse. Son autorité est avant tout morale et, tant bien que mal, les ancêtres de Louis VII étaient parvenus à la préserver. Son père, Louis VI le Gros, et le fidèle Suger qui le conseillait, avaient réussi un coup politique important en le mariant à Aliénor. Ce mariage avait considérablement enrichi la couronne et maintenu l’équilibre en évitant que l’Aquitaine ne tombe dans les mains des Angevins ou des Blésois, lorsque Aliénor – qui n’avait alors que quinze ans – avait hérité du duché.
La rivalité entre les deux familles, qui avait marqué tout le XIe siècle, s’était un peu apaisée pendant le règne d’Henri 1er Beauclerc, roi d’Angleterre et duc de Normandie, mais avait repris de plus belle après sa mort en 1135. La pomme de discorde était la couronne d’Angleterre. La fille du roi défunt, Mathilde, mariée à Geoffroy le Bel Plantagenêt, y prétendait ainsi que le neveu d’Henri Beauclerc, Étienne de Blois, fils de sa sœur Adèle, épouse du comte Étienne-Henri de Blois. Le jeune Étienne avait été le plus prompt à s’emparer du trône anglais. Il s’était fait couronner le 22 décembre 1135, à peine vingt et un jours après la mort de son oncle. Mais il n’avait pas su courir deux lièvres à la fois, et, trop occupé à asseoir son pouvoir sur l’île, il avait délaissé la Normandie dont les Plantagenêt avaient tenté de s’emparer. Le roi de France Louis VI avait observé pendant cette période un silence total, trop heureux que les deux familles se neutralisent en s’affrontant. Louis VI avait assisté à la formation autour des Angevins d’une coalition comprenant le duc d’Aquitaine, les comtes de Ponthieu, de Vendôme et l’héritier du comté de Nevers. En septembre 1136 l’armée angevine était entrée en Normandie qu’elle avait ravagée pendant plus d’un mois sans parvenir à s’emparer des principales forteresses, ce qui aurait permis à Geoffroy de ceindre la couronne ducale. Il s’était replié, laissant la désolation et l’anarchie derrière lui.
Le roi de France se manifesta en mai 1137, deux mois après qu’Étienne de Blois eut repassé la Manche et tenté à son tour de s’assurer du duché normand. Louis VI avait signé un traité d’amitié avec Étienne et reconnu son fils Eustache comme son vassal pour le duché de Normandie. De la part du Capétien, la manœuvre était habile, cela évitait que la Normandie ne vienne accroître les puissances angevine ou champenoise car, dans le même temps, Thibaud IV, comte de Blois et de Champagne, renonçait à tous ses droits sur l’héritage anglo-normand au profit définitif de son frère Étienne de Blois et de sa descendance. Émergeait ainsi une troisième puissance, contrebalançant les deux autres. C’était l’application par Louis VI et Suger du célèbre adage : diviser pour régner. Le roi qui sentait ses jours comptés par la maladie avait tenté d’assurer une relative tranquillité aux premières années du règne de son jeune fils Louis VII. Le mariage aquitain avait renforcé l’équilibre voulu par
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