Amours Celtes sexe et magie
au XII e siècle par le clerc gallois Geoffroy de Monmouth d’après d’anciens poèmes, les rapports entre l’Enchanteur prophète et sa sœur Gwendydd sont assez troubles. D’ailleurs, cela n’a pas échappé aux auteurs anglo-normands du Moyen Âge qui, pour éviter cette ambiguïté, ont transformé la Gwendydd originelle en fée Viviane, dont est amoureux Merlin.
Et cependant, la notion d’inceste déborde largement du cadre familial. Un très court mais très étrange récit irlandais à propos de Cûchulainn précise avec netteté que le fait d’absorber le sang d’un autre crée une sorte de lien fraternel qui exclut toute relation sexuelle, celle-ci étant alors considérée comme un authentique inceste. Cet « affrèrement » par échange de sang est bien connu de toutes les traditions, notamment chez les guerriers qui s’affirment compagnons d’armes, mais il revêt ici une importance particulière. « Derbforgaille, fille du roi de Lochlann (6) , tomba amoureuse de Cûchulainn à cause des belles histoires qu’on racontait sur lui. Elle et sa servante partirent de l’est, sous forme de deux cygnes, reliées entre elles par une chaîne d’or. Ce jour-là, Cûchulainn et son frère de lait Lugaid allèrent au bord du lac et virent les oiseaux. – Tirons sur les oiseaux ! dit Lugaid. Cûchulainn jeta une pierre qui passa entre leurs côtes et resta dans la poitrine de l’un d’eux. Aussitôt deux formes humaines apparurent sur le rivage (7) . – Tu as été cruel envers moi, dit la fille, car c’est vers toi que je venais. – C’est vrai, dit Cûchulainn. Là-dessus, il suça le flanc de la fille jusqu’à ce que la pierre sortît et vînt dans sa bouche avec le caillot de sang qui était autour. – C’était pour toi que je venais, dit-elle. – Ce n’est pas possible, ô fille, dit-il, je ne peux pas me joindre à un flanc que j’ai sucé. – Tu me donneras alors à celui que tu voudras. – J’aimerais que tu ailles, dit-il, avec l’homme qui est le plus noble d’Irlande, Lugaid aux Raies rouges. – Qu’il en soit ainsi, dit-elle, pourvu que je puisse toujours te voir (8) . »
Il y a donc certains interdits majeurs dans cette société en apparence permissive. Mais il faut avouer que ces interdits sont bien davantage d’ordre magique que d’ordre moral. Comme dans toutes les civilisations anciennes, le sang est non seulement synonyme de vie, mais il est porteur de ce qu’on appelle l’ âme . C’est pourquoi, chez les Juifs, il y a tant de prescriptions concernant le sang des animaux qui ne doit pas être absorbé, ainsi que sur le sang menstruel soupçonné d’être chargé d’une impureté fondamentale. Il n’y a rien de tout cela dans les sociétés celtiques, mais il y a néanmoins quelque chose qui reste des époques antérieures, une sorte de peur de la femme, car celle-ci est censée détenir un pouvoir mystérieux, celui de donner la vie , ce que les mâles lui reprochent depuis des millénaires, tout en reconnaissant que sans elle l’humanité ne pourrait se perpétuer. Et cette constatation sociale débouche sur une interrogation à la fois psychologique et morale : la femme serait-elle donc un être dangereux ? Cette terreur inconsciente, et partagée par tous les hommes depuis que le monde est monde, joue un grand rôle dans l’activité sexuelle telle qu’elle est vécue et pratiquée quotidiennement.
Au Moyen Âge, mais déjà c’est repérable dans les époques dites celtiques, la femme, qui constitue en elle-même un mystère, est à la fois bénéfique et maléfique. Quand son rôle se borne à nourrir la famille et à procréer, tout va très bien, mais si elle se sert de son sexe pour autre chose, ce ne sont pas seulement les hommes qui pressentent un danger, mais la société tout entière qui vacille sur ses bases. On répète que la femme est « le repos du guerrier ». Cela veut dire qu’elle est capable de faire oublier au mâle ce à quoi il est destiné : à travailler et à faire la guerre, soit pour protéger les siens soit pour agrandir le champ d’action de la collectivité à laquelle il appartient. L’activité guerrière, qu’on le veuille ou non, est liée à l’activité sexuelle, mais il faut que cette activité sexuelle ne soit pas dépensée en pure perte, qu’elle ne soit pas sans objet. Or, dans le cas d’une sexualité libre, le but n’apparaît pas. Et en fait, il n’y a même pas de but.
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