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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Julien Gracq
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ouverte, disponible, prête à battre tous les buissons et à déserter les sentiers de l'école pour le chemin des écoliers. Insoucieuse de tout ce qui ressemble à la somnolence d'une route, fuyant comme la mort tout ce qui pourrait la coaguler trop vite, dénouée, déliée, et n'aimant rien tant que de se laisser soulever de bout en bout au passage des grands trains d'ondes qui viennent d'on ne sait quel ailleurs, chacune de ces phrases aux souples et prenants mouvements d'algues se jette à l'eau comme aucune autre.
    Une autre comparaison s'offre qui permettra peut-être je communiquer d'une manière différente une impression difficile à préciser autrement que par des exemples. L'armature syntaxique passe à bon droit pour constituer quelque chose comme le squelette de la phrase — elle est le point d'appui qui permet, en même temps qu'il la nécessite, la coordination interne des pensées; et au même titre que le squelette elle reste généralement invisible (on l'en loue). Breton semble parfois avoir retourné l'usage de la syntaxe comme on retourne un gant : sa phrase, si l'on ose dire, porte son squelette à l'extérieur. De moyen qu'elle était (moyen à usage purement interne) de discipliner le contenu préétabli et délimité de la phrase — de mettre de l'ordre dans une matière finie — il fait de la syntaxe un lieu de contact avec le milieu, un moyen de reconnaissance et de conquête, tout entier hameçons et crochets, tout entier tourné comme une antenne exploratrice vers l'extérieur —  vers tout ce qui consent à se laisser draguer au passage — vers ces eaux peuplées que met en éveil le sillage de la phrase et où sommeillent pour l'écrivain les pêches miraculeuses. Jamais lisse, hérissée au contraire de crochets, de palpes et d'épines, la phrase de Breton —  dût même sa «ligne» parfois s'en embroussailler — est une de celles (et c'est peu dire) qui craignent le moins d' accrocher.  
    Il est possible, semble-t-il, de saisir parfois sur le vif dans la prose de Breton cette perversion suggestive de l'emploi de la syntaxe. Il n'est pas question — il y faudrait une étude infiniment plus minutieuse que celle que l'on a entreprise ici — de recenser tous les procédés, conscients ou non, par lesquels Breton a tenté de doter la syntaxe de ce rôle explorateur. Cette opération aurait le grave défaut de faire apparaître comme une série de recettes plus ou moins habiles ce qui reste chez Breton effort tout spontané, improvisation libre, commodités soudaines que lui donne le besoin d'allonger son envergure. Beaucoup de ces tours syntaxiques inédits sont nés spontanément — avant d'être employés en connaissance de cause — de la pratique de l'écriture automatique. (« Il est d'heureuses tournures qu'ainsi je me suis rendu familières », dit lui-même Breton dans le Premier manifeste.) Ceci dit, il ne paraît pas inutile, après avoir indiqué leur nécessité profonde, de dénombrer quelques-uns des plus caractéristiques, des plus parlants de ces procédés.
    Un des traits qui en apparence rapprochent le mieux la phrase de Breton de la «période» classique est son caractère volontiers antithétique. Rien pourtant dans ces antithèses qui sente le syllogisme, rien qui dans cette exposition contrastée doive faire pressentir un processus d'élimination logique, une «conclusion», l'affirmation positive appelle son contraire par un simple jeu de polarisation, dans le seul but de le faire surgir, d'en extraire une possibilité poétique. Il ne s'agit que de profiter de l'élan acquis pour suivre le mouvement du pendule mental dans toute l'amplitude de sa course. On suit le processus d'obtention de l'image comme récompense à une antithèse ainsi poursuivie gratuitement — «pour voir» — dans des phrases de ce genre :
     
    «C'est là, tout au fond du creuset humain, en cette région paradoxale où la fusion de deux êtres qui se sont réellement choisis restitue à toutes choses les couleurs perdues du temps des anciens soleils, où pourtant aussi la solitude fait rage, par une de ces fantaisies de la nature qui autour des cratères de l'Alaska veut que la neige demeure sous la cendre, c'est là qu'il y a des années, j'ai demandé qu'on allât chercher la beauté nouvelle, la beauté "envisagée exclusivement à des fins passionnelles".» (L'Amour fou)  
     
    À chaque instant, le cours entier de la phrase se montre singulièrement disposé à

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