Antidote à l'avarice
se protéger du soleil.
— Pourquoi le cheval de l’évêque est-il sellé aujourd’hui ? demanda-t-elle.
En effet, luisant et harnaché, paré d’une bride frangée et ornée d’argent, le cheval de l’évêque marchait au pas derrière les chariots, à côté du garçon d’écurie chargé de veiller sur lui.
— Ah bon ? s’étonna Isaac. Son Excellence doit manifester de l’impatience devant notre lenteur, elle doit aussi se sentir mieux.
Un cri retentit à l’avant de la colonne, qui interrompit les musiciens. Le marmiton de l’évêque montrait frénétiquement un point au bord de la route.
Berenguer poussa sa mule et rejoignit le capitaine de sa garde.
— Qu’y a-t-il ?
— Un homme, Votre Excellence, sur le bas-côté, dit le capitaine. Là, juste sur la droite. Le gâte-sauce qui est allé le voir dit qu’il est vivant, mais grièvement blessé.
L’évêque mit pied à terre.
— Faites demander le médecin. Venez ensuite me voir.
Le capitaine envoya un cavalier chercher Isaac, puis il suivit l’évêque au sommet d’un petit tertre. Un jeune homme gisait dans un enchevêtrement d’herbes folles et de broussailles qui le dissimulaient à moitié. Son bras formait un angle anormal, et ses habits étaient trempés de sang.
— Ce garçon a la vue perçante pour l’avoir remarqué. On dirait qu’il a été délibérément caché.
— Il serait peu judicieux d’ignorer cette éventualité, Votre Excellence.
— Señor, demanda l’évêque avec force, vous m’entendez ?
Le jeune homme gémit.
— Nous avons un médecin avec nous. Il va prendre soin de vos blessures.
Le jeune homme ouvrit des yeux apeurés.
— Non, murmura-t-il.
Il ferma les paupières, les rouvrit et s’efforça de distinguer les visages qui se présentaient à lui.
— Qui êtes-vous ?
— Berenguer de Cruilles, évêque de Gérone.
— Dieu soit loué, fit le jeune homme avant de s’évanouir.
— C’est son bras, affirma Raquel. L’articulation est déboîtée et il est plein de sang.
— Quoi d’autre ? Peut-il parler ?
— Il est en pâmoison. Il semble jeune – vingt ou vingt-cinq ans, peut-être. Son visage est trop gris et trop hâve pour que je sois plus précise.
Le médecin s’accroupit à côté du jeune homme et Raquel guida sa main vers le bras blessé.
— Découpe ses habits afin que je le palpe.
Raquel prit les ciseaux d’argent qu’elle rangeait dans un petit sac accroché à son côté et coupa les dentelles qui fermaient la manche.
— Voilà.
— A-t-il d’autres blessures ? demanda Isaac après avoir laissé ses doigts courir sur le bras déformé.
— Oui, des entailles, mais il est difficile de dire si elles sont profondes.
— Yusuf, va chercher des linges propres dans la charrette. Est-ce qu’il a perdu beaucoup de sang ?
— Il y en a pas mal répandu à terre, papa, dit Raquel qui s’occupait à découper sa culotte de belle facture. Cela vient d’une blessure à la cuisse. Je suis désolée d’être si lente, papa, mais l’étoffe est gorgée de pluie ainsi que de sang. Il est difficile de faire mieux. J’ai coupé jusqu’au genou et même un peu plus loin. Le saignement a repris quand j’ai bougé l’étoffe avec mes ciseaux. Je crois…
— Chut. Laisse-moi le palper, tu me diras ensuite ce que tu penses.
Isaac fit descendre ses mains le long de la cuisse, s’arrêtant sur la chair meurtrie d’une blessure, puis continuant plus bas que le genou. Ses doigts étaient pleins de sang.
— Yusuf est-il là ?
— Oui, seigneur. J’ai apporté des linges. Et le sergent est venu pour vous aider au cas où.
— Va chercher de l’eau, du vin et une bassine.
À nouveau, ses doigts effleurèrent le genou.
— Dès qu’il revient à lui, Raquel, lave la blessure avec de l’eau et du vin et panse-la. Tu nettoieras ensuite le reste du sang, car je ne pourrai travailler si mes mains sont poisseuses.
— Il y a aussi beaucoup de sang sur ses doigts, dit Raquel.
— Peut-être a-t-il essayé d’étancher la blessure qu’il a à la cuisse, murmura-t-il. Je vais les toucher.
Il frôla l’une des mains du blessé avec la délicatesse d’un papillon, fronça les sourcils, voulut appuyer un peu plus fermement et ne réussit qu’à arracher un gémissement à l’homme à demi inconscient.
— N’y touche pas, Raquel. Yusuf est-il là avec l’eau ?
— Je suis ici, seigneur. Tendez vos mains
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