Antidote à l'avarice
sommets.
— Oui, fit-elle, mais pas de ceux-ci.
La ville était bâtie de l’autre côté du pont, en aval du confluent de l’Anoia et du Llobregat. Enrique, le jeune garde envoyé en mission de repérage, les attendait près de ce pont. Il portait sur son dos un sac empli de pain frais et de fromage du cru destinés à reconstituer leurs provisions. Ils s’arrêtèrent donc au bord de l’Anoia, dans un pré faisant face à la ville, et firent un rapide repas composé de viandes froides, de pain et de fromage.
Le pré était accueillant et très verdoyant. Les méandres d’un chemin conduisaient à la rivière ceux qui désiraient s’y baigner. Le soleil chassa de leurs os le dernier souvenir de cette froide matinée et leur laissa une douce impression de lassitude. Mais au moment où chacun s’installait pour somnoler pendant un quart d’heure, le capitaine ordonna de tout remballer et de repartir.
— Je suis sûr qu’on pourrait aller bien plus loin si on avait le temps de se reposer, dit le marmiton.
— Écoutez-moi ce morveux qui veut aller chaque jour deux fois plus loin ! s’écria le cuisinier. Tu as de la chance que Son Excellence ne t’ait pas entendu, il nous aurait à tous demandé d’en faire autant. Il est si pressé d’arriver à bon port que c’en est de la folie.
— On va suivre tout le temps la rivière ? demanda l’apprenti qui commençait à éprouver un certain respect pour la connaissance que son maître avait de la route.
— On peut dire ça comme ça, fit le cuisinier en réprimant un rire. On est un peu au-dessus la plupart du temps, mais tu verras, ça va changer.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Tu verras bien.
Au-dessus d’eux, les montagnes se dressaient, hautes et sombres. La route grimpait assez nettement, et le sergent fit faire halte.
— C’est pour quoi maintenant ? demanda le marmiton.
— Pour le travail, lui répondit le cuisinier en chef. Il va falloir transférer des pièces lourdes dans l’autre chariot pour alléger un peu celui-ci. Il y a devant nous des collines assez raides.
— On aurait dû s’y prendre plus tôt, maugréa son aide alors qu’il se dirigeait vers la charrette transportant les passagers. Et vous, señor, dit-il à Gilabert, vous allez pouvoir vous déplacer ? Si vous acceptiez, on pourrait mettre une ou deux barriques à votre côté. Quant à ces deux-là, ajouta-t-il en désignant Ibrahim et Naomi, il leur faudra marcher avec les autres.
— Mieux encore, dit le jeune homme, je monterai le cheval. Yusuf pourra prendre ma place dans le chariot. Il pèse moins que moi.
— Je peux aller à pied, señor.
— Yusuf ira sur ma mule, trancha Berenguer.
Ils firent donc passer une partie de la charge dans le chariot des passagers, et Yusuf sauta sur le dos de la mule de l’évêque.
La route grimpa à nouveau.
Elle s’enfonçait dans une forêt très dense, plus encore que tout ce que Raquel avait pu voir jusqu’ici. Accrochés à la pente, chênes et peupliers poussaient comme mauvaise herbe au printemps. Ils étendaient leurs branches au-dessus de la route et masquaient le soleil, la plongeant ainsi dans une pénombre perpétuelle. Plus haut surgissaient les silhouettes sombres des arbres à feuillage persistant. Une brume semblait suinter du sol rouge et rocailleux pour venir coller à leur peau.
— Il fait presque nuit ici, dit Raquel, mal à l’aise.
— Ce n’est pas comparable, dit Gilabert dont le cheval marchait au pas de la mule de la jeune femme. On ne voudrait pas se faire prendre par la nuit dans une telle forêt.
— Il n’y a personne par ici ?
— Mais si. Des villages, des monastères et quelques cabanes solitaires et misérables. Mais nombre de petits villages ont été dévastés par la peste, et leurs maisons sont maintenant vides de tout habitant. La plupart des gens vivent loin de la route, ils s’y sentent en sécurité.
— Comment y arrivent-ils ? On ne peut rien cultiver par ici, n’est-ce pas ?
— Il y a bien des façons de gagner sa vie dans la forêt, expliqua Gilabert. Il en est même d’honnêtes. Il y a les glands pour les porcs. Plus haut, dans la prairie, ils gardent des moutons et des chèvres, et aussi des vaches.
Raquel frissonna.
— Je ne crois pas que je pourrais jamais m’habituer à vivre ici, sans soleil.
Les jambes de chacun étaient habituées à emprunter chaque jour les rues escarpées de Gérone. Certains
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