Antidote à l'avarice
éveillé et vous efforcerez de lui faire boire de l’eau. Cela peut paraître cruel, mais sinon il mourra. Le ferez-vous ?
— Je ferai n’importe quoi.
— Nous ne voulons pas vous ennuyer, car je me doute bien que vous n’avez pas dormi depuis qu’il est tombé malade, mais c’est à sa mère de le tenir pour que sa détresse ne soit pas encore plus grande.
Raquel lui passa sur les lèvres un linge imbibé de gouttes amères diluées dans de l’eau et du vin. Il les avala. Puis elles le laissèrent dormir quelques minutes avant de le réveiller avec des chansons et des bruits divers, lui chatouillant les pieds et faisant tout leur possible sans lui faire de mal. À nouveau, elles lui humectèrent les lèvres d’eau.
La nourrice arriva. C’était une solide campagnarde qui se frottait les yeux sans grande discrétion.
— Vous m’avez demandée, madame ? demanda-t-elle d’un air morne.
— Oui, Lluisa. Le médecin aimerait t’interroger à propos du bébé.
— Oui, madame.
— Ah, Lluisa, dit Isaac. Dis-moi, qu’as-tu pris pour empêcher le bébé de se nourrir ?
— Rien, señor, fit-elle d’une voix où perçait la panique.
— Je sais que tu as pris quelque chose. Si je savais de quoi il s’agit, et en quelle quantité, cela pourrait aider à le sauver.
— Ce n’était rien de mauvais, s’empressa-t-elle de répondre. C’est ma cousine qui me l’a donné. Ça donne seulement un goût bizarre au lait, et il mordait si fort mes tétons qu’ils en saignaient quelquefois. Ça marche toujours, m’a dit ma cousine.
— Et qu’était-ce donc, femme ?
— Je n’en sais rien. Elle tient cela d’une sorcière, et elle m’en a donné une coupe. Je devais prendre trois gouttes, mais cela n’a rien fait, alors j’ai tout bu et ça m’a rendue malade, comme je vous le dis. Mais, d’après elle, ça ne pouvait nuire au bébé. Elle me l’a promis. Je ne lui aurais jamais fait de mal.
Sur ce, elle éclata en sanglots bruyants et fut chassée hors de la chambre.
— Puisqu’il a vécu aussi longtemps, dit Isaac, c’est qu’il doit être très fort. C’est notre plus bel espoir.
— Elle l’a empoisonné ? cria dame Emilia. Lluisa l’a empoisonné ? S’il meurt, ajouta-t-elle d’une voix sinistre qui fit frissonner Raquel, je la tuerai.
— Dans ce cas, nous devons l’empêcher de mourir, au moins pour vous épargner cet horrible péché.
Pendant qu’ils s’affairaient, le castel s’installa pour la nuit et, dans le calme qui s’ensuivit, les bruits de la forêt emplirent la chambre – hululement des chouettes, craquement d’une branche morte sous le pas d’un prédateur ou d’une bête traquée. Puis il sembla que les bois touffus étaient envahis par une vaste armée silencieuse épiant la demeure.
Vers le milieu de la nuit, quand la lune se leva et que sa lumière pénétra dans la pièce, l’enfant but une gorgée de liquide.
— Laissons-le dormir un peu plus, dit Isaac. Car il a besoin de repos presque autant que d’eau.
Ils lui accordèrent donc près d’une heure de sommeil, puis il but goulûment et se mit à gémir.
— Donne-lui-en un peu plus pour apaiser sa douleur, Raquel. Une goutte.
Elle s’exécuta, et l’enfant dormit encore une heure. Raquel l’éveilla alors doucement pour lui donner un peu de bouillon chaud.
— Il l’a pris, papa. Sa mère et lui se sont endormis.
Dame Emilia protesta qu’elle était parfaitement réveillée.
— Y a-t-il un lit ici ?
— Celui de la nourrice.
— Qu’ils s’y couchent tous les deux, ordonna Isaac. Je resterai auprès d’eux pour m’assurer que tout va bien. Va te reposer, ma fille.
La mère et son enfant dormirent jusqu’à ce que le soleil matinal les caresse de ses rayons.
CHAPITRE V
Les montagnes
Ils déjeunèrent de riz chaud et épicé, d’excellent pain tout juste sorti du four, de l’un des jambons de l’évêque et d’un bon quart des fromages disposés sur la table. Avant de faire ses adieux, Berenguer envoya son secrétaire chercher un paquet enveloppé de lin, qu’il offrit à dame Emilia.
— Vous nous avez accueillis avec une telle grâce, ma cousine, même lorsque votre maison était dans la peine. Nous ne vous aurions pas dérangée si nous l’avions su.
— Sans vous, notre fils serait mort à cette heure. Votre venue fut une réponse à mes prières.
— Pas ma venue, madame, dit Berenguer, mais celle de mon médecin. Je
Weitere Kostenlose Bücher