Antidote à l'avarice
votre voix me rappelle celle de Don Sancho quand vous dites cela. Je resterai à l’intérieur du palais tant que je n’aurai pas vu l’archevêque, déclara Berenguer, le visage blême d’une colère qu’il parvenait mal à réprimer. Ensuite, vous pourrez me suggérer ce que bon vous chante.
— Certainement, Votre Excellence. Ce serait le moment idéal pour étudier les papiers que nous avons…
— La seule chose que j’accepterais en cet instant est de disputer une partie d’échecs avec mon médecin, qui ne m’irrite pas avec ses suggestions, lui.
— Le reste de notre petite troupe n’est malheureusement pas encore arrivé, lui fit remarquer Francesc.
— En êtes-vous certain ?
— Le capitaine me l’aurait aussitôt signalé, dit-il avec sérénité. Il est très possible qu’ils n’arrivent pas en ville avant demain, ajouta-t-il.
Berenguer quitta assez longtemps ses confortables appartements pour s’offrir un rapide souper. Une fois encore, l’archevêque ne se montra pas. Berenguer commençait à faire nerveusement les cent pas quand un coup discret frappé à la porte l’arracha à ses pensées stériles.
— Son Excellence tiendrait pour un honneur si Votre Excellence acceptait de le voir dans son cabinet, dit le petit serviteur.
— Maintenant ? s’étonna Berenguer.
— Oui, Votre Excellence. Si Votre Excellence veut bien me suivre…
En silence, Berenguer implora le ciel de lui accorder patience et humilité et se donna une contenance. Il suivit l’enfant dans les couloirs avec toute la docilité dont il était capable, puis il attendit sans jamais trahir la fureur qui l’habitait.
Assis de l’autre côté d’une lourde table en chêne sombre à la sculpture compliquée, l’archevêque était tourné vers la porte. Avec une froide politesse, il fit signe à son hôte de s’asseoir, puis il attendit en silence que le petit page apportât une coupe de vin à l’évêque.
— J’ose espérer que votre voyage fut sans histoires, Don Berenguer, dit l’archevêque.
— Il le fut effectivement, répondit Berenguer avec amabilité.
Avec un regard qui annonçait la levée de nuages d’orage, l’archevêque se pencha en avant et marqua un temps d’arrêt avant de parler.
— Agnete, cette sœur à propos de qui je vous ai écrit, elle se trouve également avec vous ?
— Dans ma hâte de retrouver Votre Excellence, j’ai laissé mes compagnons derrière moi ce matin. Elle est avec le reste de mon escorte, Votre Excellence. Je suis certain qu’ils ont fait, eux aussi, un voyage sans histoires.
— Vous l’avez laissée derrière vous, sur la route ?
— Elle est extrêmement bien protégée par mes gardes personnels, Votre Excellence. Je tenais à ne pas manquer le début du conseil, et je suis parti en avant avec mon confesseur et mon secrétaire.
— J’ai entendu dire que l’on avait tenté de s’emparer de sa personne…
— Une tentative infructueuse, Votre Excellence.
— Savons-nous qui en est l’auteur ?
— Des bandits, placés sous le commandement d’un certain Mario. On croit qu’ils agissaient pour le compte de sa famille.
Don Sancho plissa le front, saisit sa lèvre inférieure entre ses doigts et la pinça. C’était une habitude qu’il avait lorsqu’il réfléchissait, une habitude plutôt ennuyeuse selon Berenguer.
— Peut-être que, si vous aviez pris des mesures en vue de son transfert dès que la malheureuse affaire de l’enlèvement de Doña Isabel a été réglé, sa famille n’aurait pas eu le temps d’échafauder des plans pour sa libération.
— Je ne doute pas que Votre Excellence ait raison.
— S’il en avait été ainsi, Don Berenguer, le couvent de Sant Daniel et l’abbesse Elicsenda en personne n’auraient pas été souillés par le scandale général qui a marqué cette histoire. Ce retard ne les a pas protégés des conséquences de cet événement. Comme vous devez le savoir, il a même eu l’effet contraire.
— Je n’en suis que trop conscient, Votre Excellence. À l’époque, j’ai incité l’abbesse Elicsenda à envoyer immédiatement Sor Agnete à la maison mère.
— Oui, mais vous n’avez rien fait de plus, Don Berenguer.
— À mon grand chagrin, dit l’évêque en réprimant les justifications qui lui venaient aux lèvres.
Son silence, il l’admettait avec tristesse, n’était dû qu’à un sens politique très développé qui lui dictait que le moment
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