Apocalypse
s’écria-t-elle.
— Le chœur à l’est, je crois. Comme la plupart des lieux de culte.
Elle posa sa main sur l’autel pour s’appuyer. Elle avait l’impression que les statues venaient de s’éveiller et la regardaient. Sa voix résonna dans le silence :
— Vous me dites que c’est une église mais, moi, ce que je vois…
La tête lui tournait, elle saisit le bras d’Antoine.
— Tu ne vois donc pas, mon frère ? Marcas la retint avant qu’elle ne tombe.
— Mais tout y est ! Du sol au plafond ! Ce lieu terrible … De Perenna la regardait, effaré.
— … c’est un temple maçonnique !
49
Paris
Loge Les Vrais Amis réunis
2 septembre 1792
Le marquis de Chefdebien arriva en tenue, les vêtements déchirés, mais nul ne lui posa de questions. Tous les visages étaient tendus, certains frères portaient un pistolet à la ceinture. Sur le parvis du temple, les officiers de la loge avaient le plus grand mal à rétablir le calme.
— Mes frères, nous allons entrer en tenue, annonça le Grand Expert, je vous en prie, faites silence, quels que soient les événements du monde profane, notre réunion ne peut commencer que dans la concentration et la sérénité.
Un silence immédiat lui répondit.
— Comme vous le savez, cette tenue est exceptionnelle et seuls ont été convoqués les frères qui peuvent se prévaloir des hauts grades.
Chefdebien jeta un œil surpris sur ses compagnons. Il n’y avait là que des maçons qui appartenaient aux ateliers de perfection. Des hommes qui pratiquaient l’art royal depuis des années.
— Mais à quel grade ouvrirons-nous nos travaux en loge ? interrogea un frère.
— Au grade de maître. Préparez-vous.
Un coup de canne sur le sol dallé vint ponctuer cette dernière parole et un à un les frères pénétrèrent dans le temple.
Le rituel d’introduction se déroula sans que le marquis de Chefdebien ait repris ses esprits. Tandis que le Vénérable prononçait les paroles sacramentelles, il revoyait le visage disloqué de Voyron, son corps qui s’affaissait sous les coups.
— Mes frères, je déclare la tenue ouverte.
À sa gauche l’orateur se leva. Il tenait ses mains dissimulées sous le pupitre. Il doit trembler , pensa Chefdebien.
— Mes frères (la voix marqua un temps d’hésitation), l’Assemblée a décidé de la mise en accusation du roi. Il sera jugé dans quelques semaines. Et il n’y aura que deux sentences possibles : l’acquittement ou… la mort.
C’était comme si la foudre tombait sur les visages. Le marquis sentait monter dans sa gorge un son qui allait se muer en cri. Il serra les poings et baissa les yeux. Nul n’avait le droit de profaner une tenue par ses émotions.
— Mes frères, reprit l’orateur, je sais ce que cette nouvelle a de terrible. Tous nous avons rêvé d’une monarchie éclairée, d’un gouvernement juste, d’un pays de droit et de liberté. Et…
Cette fois la voix lui manqua. Depuis le discours de Danton qui décrétait la patrie en danger, le peuple s’était transformé en loup féroce. Partout, en ville, on attaquait les prisons et on massacrait les suspects. Les cadavres se comptaient par centaines. Certains horriblement mutilés. On égorgeait sur le pas des portes, on violait dans les rues, la folie assassine avait infesté Paris.
D’un hochement de tête, le Vénérable autorisa l’orateur à s’asseoir. Le plus délicat restait à venir.
— Mes frères, il faut nous préparer au pire.
Chefdebien, du regard, fit le tour de ses frères. Tous appartenaient à des loges prestigieuses. Comme la loge des Neuf Sœurs qui avait initié Voltaire et Benjamin Franklin. Et beaucoup faisaient partie de l’ordre des Philalètes, fondé par le Vénérable Savalette de Lange, une fraternelle où l’on se passionnait pour tous les mystères de l’occulte.
Une main se leva qui demandait la parole. Le marquis reconnut Villermoz. Ce Lyonnais jouissait, dans tout le monde initiatique, d’une réputation exceptionnelle. Il avait été initié aux rites des élus Cohen, le plus ésotérique des ordres maçonniques, et il était à l’origine de nombre de hauts grades. Chefdebien se demanda par quel miracle ce chef mythique, qui quittait rarement les bords du Rhône, se trouvait à Paris, désormais livré à l’émeute et au chaos.
— Mes frères, le roi est condamné. Le roi va mourir.
Un murmure de protestation parcourut les Colonnes.
D’un
Weitere Kostenlose Bücher