Au bord de la rivière T4 - Constant
voisines.
Quand Conrad Farly rentra dans le chœur après avoir retiré sa chasuble et son aube pour les remplacer par un simple surplis passé sur sa soutane, il eut la désagréable surprise de ne retrouver dans le temple qu’une poignée de dames prêtes à assister au salut du Saint-Sacrement.
— Ah ben, j’aurai tout vu ! s’exclama-t-il, furieux.
Il ouvrit le portillon de la sainte table et se dirigea à grands pas vers la porte de la chapelle qu’il repoussa d’un geste rageur. Il découvrit alors ses paroissiens éparpillés autant sur le parvis que dans le stationnement.
— Qu’est-ce que vous attendez pour entrer ? cria-t-il d’une voix de stentor en leur indiquant l’intérieur de la chapelle. Faut-il que je vienne vous chercher ?
Stupéfaits, les gens le regardèrent un instant sans comprendre. Puis, intimidés par sa fureur apparente, ceux et celles qui étaient près de lui sur le parvis entrèrent la tête basse. Par ailleurs, la plupart des paroissiens debout dans le stationnement hésitèrent entre retourner assister à une autre cérémonie religieuse et rentrer enfin à la maison. Midi était passé et ils étaient tiraillés par la faim.
— Grouillez-vous ! leur ordonna sèchement le prêtre.
Cet ordre décida finalement le plus grand nombre à revenir vers la chapelle en arborant des mines de condamnés.
— Nous autres, on rentre à la maison ! déclara Xavier Beauchemin à sa femme sur un ton péremptoire. Ça va faire, blasphème ! On a passé deux heures là-dedans et on est à jeun depuis hier.
Sur ces mots, il fit signe à Catherine de monter dans le boghei et il passa au nez du pasteur de Saint-Bernard-Abbé sans même tourner la tête.
— Je te dis qu’il avait pas l’air content de nous voir partir, lui dit sa femme.
— Ça m’empêchera pas de dormir, conclut Xavier en poussant son cheval à accélérer.
Inutile de dire que le comportement du remplaçant du curé Désilets défraya la plupart des conversations durant les jours suivants.
Le surlendemain, Bernadette trouva sur son lit un paquet grossièrement enveloppé de papier brun à son retour de l’école. Elle s’empressa de le développer bien qu’elle sût déjà qu’il s’agissait de ses bottines neuves.
Elle examina les chaussures avec soin. Elles brillaient et elles avaient été habilement confectionnées. Elle décida de les essayer en espérant qu’elles ne lui iraient pas, ce qui lui permettrait de les renvoyer à Constant. Ainsi, il serait bien obligé de venir reprendre les mesures de ses pieds… Peine perdue, les bottines lui allaient comme un gant, constata- t-elle avec dépit.
Elle descendit au rez-de-chaussée retrouver sa mère en train de peler les pommes de terre et les carottes du souper en compagnie d’Eugénie.
— Quand est-ce que Constant Aubé m’a apporté mes bottines neuves ? demanda-t-elle à sa mère.
— Au milieu de l’avant-midi, répondit cette dernière. Je savais pas que tu lui avais commandé ça, lui reprocha-t-elle. Quand est-ce que tu lui as parlé ?
— La semaine passée. Il me semble qu’il aurait pu attendre de venir me les porter après l’école pour que je le paye, ajouta-t-elle, acide.
— Inquiète-toi pas pour ça, intervint Eugénie. Donat l’a payé. T’auras juste à rembourser ton frère.
Durant l’heure suivante, la jeune institutrice broya du noir. Il était maintenant bien clair que le meunier l’évitait le plus possible et qu’en aucun cas il n’envisageait la possibilité de reprendre leur relation qu’elle avait bêtement interrompue le printemps précédent.
Une courte visite de Xavier et Catherine vint apporter une heureuse diversion ce soir-là chez les Beauchemin. Bernadette, qui n’avait guère la tête à la préparation de ses classes, rangea ses affaires pour se joindre à la réunion de famille.
— J’ai rencontré Ubald Comtois cet après-midi, annonça Xavier. Le pauvre homme faisait pitié à voir, ajouta-t-il.
— Qu’est-ce qui lui arrive ? lui demanda sa mère.
— Ben, il venait d’aller conduire sa fille à Trois-Rivières, au noviciat des Ursulines.
— Laquelle de ses filles ? s’empressa de s’enquérir sa sœur.
— Je pense que c’est la plus vieille.
— Laurence ? fit Marie.
— Il me semble, oui.
— J’espère que sa deuxième va être capable de faire la tâche que faisait sa Laurence, répliqua Marie, pleine de compassion.
Le cœur de
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