Au bord de la rivière T4 - Constant
petite école blanche, Conrad Farly ne put cependant s’empêcher de faire remarquer à la jeune institutrice sa surprise de voir aussi peu d’enfants dans sa classe alors que l’école du rang Saint-Paul visitée l’avant-midi même en abritait plus d’une vingtaine.
— Est-ce que c’est parce que mademoiselle Dionne a plus le tour de retenir les enfants à l’école ? demanda-t-il d’une voix fielleuse.
— Peut-être, monsieur l’abbé, répondit abruptement une Bernadette insultée. Pourtant, elle vient juste de commencer à faire l’école, tint-elle à préciser. Je pense plutôt qu’elle a moins de garçons de plus de douze ans que moi. Moi, j’en ai cinq et les parents les envoient pas encore tous les jours à l’école. Ils ont de l’ouvrage pour eux à la maison.
— C’est bien possible, répliqua le prêtre d’une voix neutre, laissant entendre qu’il ne la croyait qu’à moitié.
Au moment où elle allait refermer la porte de l’école derrière le visiteur, un hennissement en provenance du fond de la classe se fit entendre, soulevant un tonnerre de rires. L’institutrice s’empressa de fermer la porte avant de se retourner, furieuse, vers ses élèves, debout derrière leur pupitre.
— Qui est l’effronté qui vient de faire le cheval ? demanda-t-elle.
Personne ne répondit.
— Est-ce qu’il va falloir que je punisse toute la classe pour savoir la vérité ? fit-elle en durcissant la voix.
Il y eut un flottement chez les élèves jusqu’à ce que Duncan Connolly lève la main.
— C’est toi qui as fait le cheval ?
— Oui, mademoiselle.
— Pour t’apprendre la politesse, tu vas rester après l’école. Tu vas balayer la classe et laver le tableau.
Duncan pencha la tête et se garda de répliquer, mais Bernadette se rendit bien compte que l’adolescent ne regrettait en rien son geste.
Mortifiée par la remarque de l’abbé Farly, Bernadette eut du mal à terminer son après-midi d’enseignement. Après le départ des enfants, Duncan exécuta sa punition en silence pendant que son institutrice remplissait son registre et préparait ses classes pour le lundi suivant. Assise au fond du local, la petite Rose attendait son frère pour rentrer à la maison.
Finalement, Bernadette signifia aux deux enfants qu’ils pouvaient partir. Elle demeura un long moment debout devant une fenêtre de sa classe, le regard dans le vide.
— Pourquoi ils trouvent toujours le moyen d’être insultants ? demanda-t-elle à haute voix. Jamais un compliment, toujours la petite remarque blessante, ajouta-t-elle en songeant surtout aux visites antérieures du curé Désilets.
En fait, le seul qui la complimentait sur son enseignement était l’ancien inspecteur, Amédée Durand. Mais lui, elle n’était pas près de le revoir. Charlemagne Ménard ne lui avait pas semblé du genre à faire beaucoup d’éloges. Elle espérait qu’il n’allait pas, lui aussi, se mettre à faire des comparaisons entre elle et Angélique Dionne.
Elle finit par mettre son manteau d’automne et se coiffer de son chapeau et elle quitta l’école. Le vent s’était levé, faisant frissonner les eaux de la rivière Nicolet. Elle traversa le pont et entreprit de parcourir le rang Saint-Jean jusque chez sa mère. Au passage, elle salua de la main son beau-frère Rémi et elle poursuivit sa route.
En passant devant chez Constant Aubé, elle l’aperçut qui avançait en claudiquant sur l’étroit chemin reliant son moulin à sa maison. Le meunier avait le visage blanc de farine et ne semblait pas l’avoir vue. La jeune femme s’immobilisa, décidant sur un coup de tête que c’était cet après-midi-là qu’elle allait régler une fois pour toute l’histoire de l’achat de ses bottines neuves. Plantée sur le bord du chemin, elle attendit que le jeune homme se rapproche pour le héler, geste que sa mère aurait sûrement hautement réprouvé.
— Constant ! lui cria-t-elle, est-ce que je peux te dire deux mots ?
Le meunier sursauta légèrement en l’apercevant à l’entrée de sa cour. Elle arborait ce petit air impérieux qu’il appréciait tant quand il la fréquentait. Comme elle ne faisait pas mine de bouger, il dut parcourir la distance qui les séparait.
— Bien oui, tu peux me parler, lui dit-il en lui adressant un sourire. Mais là, comme tu peux voir, je suis pas regardable. J’ai de la farine jusque dans les cheveux.
— C’est pas grave, fit-elle pour
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