Au bord de la rivière T4 - Constant

cloche, monsieur le curé, répondit le plus âgé des deux hommes.
    — Comment ça ? fit Josaphat Désilets, stupéfait.
    — Notre patron nous a dit que monseigneur lui avait demandé de venir la reprendre. C’est tout ce qu’on sait, monsieur le curé.
    En apprenant que monseigneur Laflèche avait fait en sorte d’annuler l’achat de la cloche et de donner ainsi raison au conseil, l’ecclésiastique se mit en colère.
    — Si c’est comme ça, reprenez-la, ordonna-t-il aux deux employés de la fonderie en leur claquant la porte du presbytère au nez.
    Josaphat Désilets rentra dans son bureau et s’embusqua derrière les rideaux qui masquaient l’unique fenêtre pour regarder les deux hommes regagner la façade de la chapelle. Ceux-ci dételèrent le cheval, placèrent des madriers et des billes de bois sur ces derniers avant de ceinturer la cloche d’un gros câble que la bête tira lentement jusqu’à hisser la cloche sur le lit de paille disposé au fond de la charrette. Toute la manœuvre dura moins d’une demi-heure.
    Quand le véhicule reprit lentement le rang Sainte-Ursule, le curé ne put s’empêcher de grogner entre ses dents :
    — Eux autres, ils vont me payer ça ! marmonna-t-il en songeant aux membres de son conseil qui venaient de lui faire perdre la face devant toute la paroisse.
    Il se doutait bien qu’ils étaient les responsables du fait qu’il avait été incapable de réunir une équipe de bénévoles pour installer sa cloche dans le clocher. Cependant, il était sidéré qu’ils aient eu, de toute évidence, l’effronterie d’écrire à monseigneur pour expliquer leur point de vue, et il comprenait encore moins que son supérieur l’ait ouvertement désapprouvé.
    Ce jour-là, la disparition soudaine de la cloche fut l’objet de beaucoup de conversations dans Saint-Bernard-Abbé. Plus d’une rumeur circulait sur le rôle de la fabrique dans toute cette histoire. Pour leur part, tout en comprenant les motifs des marguilliers, beaucoup de paroissiens déploraient le fait que la chapelle soit privée d’une cloche.
     
     
     

Chapitre 17
Une surprise de taille
    La première véritable tempête de l’hiver se produisit le lundi suivant à la mi-novembre. À dire vrai, elle ne prit personne par surprise dans la région. La veille, les gens de Saint-Bernard-Abbé avaient découvert une bonne couche de givre sur les vitres de leurs fenêtres à leur réveil et ils s’étaient empressés de jeter quelques bûches dans leur poêle à bois.
    — Seigneur ! on se croirait au mois de janvier, avait déclaré Bernadette à ses deux frères au moment où ils s’apprêtaient à aller faire le train.
    — On pourrait ben avoir notre première neige, avait répliqué Donat en jetant un regard vers le ciel gris.
    — C’est pas grave, avait fait Hubert avec fatalisme. La gratte et le rouleau sont prêts depuis un bon bout de temps.
    Ce dimanche matin là, les paroissiens emmitouflés s’étaient entassés dans la chapelle pour entendre leur curé maugréer durant de longues minutes contre l’hypocrisie de certains d’entre eux qui n’avaient pas hésité à déblatérer contre leur pasteur auprès de monseigneur l’évêque… Beaucoup de têtes s’étaient tournées alors vers les marguilliers qui, stoïques, n’avaient pas bronché et avaient continué à fixer l’autel.
    À la fin de la grand-messe et du salut au Saint-Sacrement, les gens découvrirent avec étonnement que le ciel s’était assombri et que le vent était tombé, présages d’une importante chute de neige.
    Malgré tout, les cinq marguilliers se rassemblèrent brièvement au bas des marches du parvis.
    — On dirait ben que monsieur le curé a pas envie pantoute de nous voir la face, déclara Samuel Ellis en mettant ses moufles.
    — Ça tombe ben en torrieu, fit Donat. On risque d’avoir pas mal de neige à pelleter. Vous, notaire, allez-vous passer le voir pour lui demander s’il a des points à discuter ?
    — Non, répondit Eudore Valiquette. Je vais attendre qu’il m’envoie le bedeau.
    — De toute façon, on n’a fait que notre besogne avec l’histoire de la cloche, fit remarquer Hormidas Meilleur avec un bon sens évident.
    Les administrateurs de la paroisse rentrèrent chez eux après cette brève rencontre. Durant toute la journée, on attendit la neige, mais le ciel se contentait de rouler de lourds nuages devenus presque violets, laissant planer sur la tête des gens la