Au bord de la rivière T4 - Constant
la jeune fille n’avait semblé s’intéresser à son emménagement dans sa nouvelle maison et aux travaux de nettoyage auxquels toute sa famille allait participer. Elle ne demanda même pas s’il entendait lui faire visiter la maison, alors que dans ses rêves il espérait en faire la reine des lieux aussitôt que le marchand général lui aurait accordé sa main.
Par ailleurs, Télesphore et Alexandrine Dionne ne s’informèrent pas plus que leur fille de la future fromagerie et témoignèrent au fils de Baptiste Beauchemin une indifférence si marquée qu’il la jugea insultante.
Dès le lendemain, les enfants retournèrent à l’école, alors que toute la famille Beauchemin tint sa promesse de venir prêter main-forte au futur fromager. Sœur Marie du Rosaire accepta de demeurer au chevet de sa belle-sœur et envoya sa jeune compagne participer à la corvée de nettoyage, pendant qu’Eugénie prétexta devoir s’occuper d’Alexis. Camille, Catherine et Emma laissèrent les bébés à l’aînée d’une voisine pour se mettre résolument au travail avec l’aide des hommes. À la fin des classes, Bernadette et Ann vinrent se joindre aux autres.
Deux jours suffirent pour que les plafonds, les murs et les parquets soient récurés à fond. À la fin de ce ménage, l’entrain et l’énergie démontrés par Célina poussèrent les femmes de la famille à se consulter après le souper. Elles affirmèrent à Mathilde Beauchemin, qui venait d’annoncer son départ le lendemain pour Sorel, qu’elles avaient hautement apprécié la somme de travail abattue par l’orpheline.
— Dites donc, ma tante, étiez-vous sérieuse quand vous avez dit que l’orphelinat pourrait nous envoyer une fille pour nous aider pendant que ma mère est malade ? demanda Bernadette.
— Oui.
— Est-ce qu’on aurait le choix ? intervint Camille.
— Si elle a pas été promise ailleurs, je vois pas pourquoi la mère supérieure vous refuserait une de nos filles. Pourquoi me demandes-tu ça ?
— On pensait, ma tante, que Célina ferait bien l’affaire, poursuivit Emma. Elle est calme et les petites crises d’Eugénie ont pas l’air de l’énerver. En plus, ma mère la trouve bien vaillante.
— En tout cas, il y a un bon moyen de le savoir, c’est de venir se renseigner demain, au moment de me conduire à l’orphelinat.
— Avant ça, ce serait peut-être pas une mauvaise idée de demander à Célina ce qu’elle en pense, suggéra Camille. Après tout, elle a déjà vingt ans, elle a peut-être d’autres idées.
— Nos orphelines attendent qu’on les place jusqu’à leur mariage, déclara la religieuse sur un ton péremptoire. Après toutes les bontés qu’on a eues pour elles, il manquerait plus qu’elles se montrent ingrates.
Malgré tout, Bernadette se chargea, ce soir-là, de consulter la jeune fille à ce sujet.
— Il est pas question de te forcer, prit-elle la précaution de la prévenir. On voudrait juste savoir si t’accepterais de venir nous aider jusqu’à ce que ma mère aille mieux.
— J’aimerais ça, se contenta de répondre Célina, mais mes affaires sont à l’orphelinat.
— Tu pourrais monter à Sorel demain avant-midi avec Donat et ma tante et revenir avec lui si la supérieure accepte.
Consultée, Marie Beauchemin s’empressa de répondre avec un pâle sourire :
— Ça me ferait bien plaisir que tu restes un bout de temps avec nous autres.
Le lendemain matin, une neige drue se mit à tomber à l’aube. Le redoux était maintenant chose du passé. Durant la nuit, le vent avait changé de direction et le givre était réapparu sur les fenêtres.
Quand Donat quitta sa chambre pour allumer le poêle dans la cuisine, il se rendit compte que Bernadette l’avait précédé, comme elle le faisait depuis que leur mère était tombée malade. La plupart du temps, celle-ci était la première dans la cuisine le matin.
— T’as vu le temps qu’il fait dehors ? demanda-t-elle à son frère. J’espère que ça t’empêchera pas de ramener ma tante à Sorel cet après-midi, chuchota-t-elle. Là, personne dans la maison est plus capable de l’endurer.
— Inquiète-toi pas, la rassura Donat. Il faudrait une maudite tempête pour m’empêcher de la ramener.
— Je suis rendue au bout du rouleau. Hier soir, elle a encore trouvé le moyen de parler de Marthe devant Emma comme d’une petite infirme et de Constant comme d’un boiteux qu’elle trouvait bien
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