Au bord de la rivière T4 - Constant
travailler ses visiteuses, elle leur demanda de prendre soin d’Eugénie et d’Alexis et de préparer le dîner pendant qu’elle descendait dans le caveau sous la maison pour dégermer les vieilles pommes de terre.
— Pourquoi tu jettes pas ces vieilles patates-là ? lui avait demandé sœur Marie du Rosaire. T’as l’air d’avoir en masse de petites patates nouvelles.
— Voyons donc, Mathilde ! protesta la veuve de Baptiste Beauchemin. Est-ce que c’est chez les sœurs que t’as appris à gaspiller la nourriture ? On mange d’abord les vieilles patates avant de manger les nouvelles.
Après un dîner plutôt frugal constitué d’un peu de fromage et de pain, Marie se remit au travail. Elle laissa ses deux invitées faire la sieste sur la galerie, à l’ombre, pendant qu’elle prenait la direction du carré de pommes de terre.
Durant près de trois heures, elle déterra les pommes de terre pour les transporter à bout de bras dans un seau jusqu’au caveau. De temps à autre, la quinquagénaire jetait un regard plein d’envie vers les religieuses.
Épuisée, elle finit par s’arrêter un peu avant quatre heures en massant vigoureusement ses reins endoloris.
— J’aurais dû me faire sœur, marmonna-t-elle d’une voix acide en posant le pied sur la galerie. Ça a tout l’air qu’on risque pas de se donner un tour de rein en se berçant une bonne partie de la journée.
Quand Bernadette rentra de l’école, sa mère la houspilla pour qu’elle aille changer de robe et continuer la tâche à laquelle elle avait consacré une bonne partie de la journée.
— Vous pourriez me donner le temps de souffler un peu, m’man, se plaignit l’institutrice avec humeur. Je viens de marcher presque un mille et j’ai chaud.
— Imagine-toi, ma fille, que j’ai pas arrêté de la journée, moi aussi, répliqua la petite femme. Grouille-toi !
Bernadette entra dans la maison en laissant claquer la porte moustiquaire derrière elle et monta à sa chambre pour changer de vêtements.
Chapitre 12
Détestables
Après le souper, une petite pluie fine se mit à tomber, forçant les Beauchemin à se réfugier dans la cuisine d’été pour la veillée.
Bien reposée, sœur Marie du Rosaire se surpassa avec son bavardage incessant pendant que sœur Sainte-Anne, silencieuse, berçait le petit Alexis. Soudain, des pas sur la galerie incitèrent la maîtresse de maison à aller voir qui arrivait et elle aperçut Camille réfugiée sous un large parapluie noir.
— Bonne sainte Anne ! Veux-tu bien me dire ce que tu fais dans le chemin quand il mouille comme ça ? demanda-t-elle à son aînée.
— Je suis pas un morceau de sucre à la crème, m’man, déclara Camille en refermant son parapluie avant de le laisser près de la porte. Ayez pas peur, je fondrai pas.
— C’est effrayant comme les journées raccourcissent vite, reprit sa mère. Il est même pas sept heures et il fait déjà noir.
Camille entra dans la cuisine d’été éclairée par une unique lampe à huile.
— Ma pauvre petite fille, intervint sœur Marie du Rosaire, sais-tu que j’avais pas remarqué hier que t’étais rendue grosse comme une tour.
— Il faut pas exagérer, ma tante, la rembarra l’aînée des enfants Beauchemin.
— Voyons, Mathilde, elle attend les sauvages dans cinq ou six semaines, déclara Marie.
— Et ça t’inquiète pas d’avoir un petit aussi vieille ? insista la religieuse, toujours aussi désagréable.
— Je viens d’avoir trente et un ans, ma tante. J’ai pas l’âge de Mathusalem, tout de même. Ça paraît que vous avez pas porté d’enfant, ajouta-t-elle d’une voix à peine audible.
— Ça fait rien, moi, à ta place, ça m’inquiéterait, insista la sœur de Baptiste Beauchemin.
— Qu’est-ce que t’as fait de ta journée ? demanda Marie à sa fille en jetant un regard furieux à sa belle-sœur.
— J’ai ébouillanté mes dernières fèves jaunes et les enfants ont ramassé des pommes quand ils sont revenus de l’école. Pour moi, demain, je vais passer ma journée à faire de la compote avec Ann après avoir cuit mon pain.
Sœur Sainte-Anne se leva pour aller coucher Alexis, endormi dans ses bras, et la conversation tourna autour de tout ce qui restait à faire pour vider le jardin.
Un peu après neuf heures, Patrick vint chercher sa mère adoptive. Après leur départ, on s’agenouilla pour la récitation de la prière du soir. La cuisine se
Weitere Kostenlose Bücher