Au bord de la rivière T4 - Constant
vida progressivement de ses occupants pendant que Donat remontait le mécanisme de l’horloge. Puis la grosse maison en pierre du rang Saint-Jean sembla plonger dans la paix de la nuit à peine troublée par les vrombissements des derniers insectes de la saison.
Le lendemain matin, Marie Beauchemin et sa fille Bernadette furent réveillées en sursaut par des cris d’horreur en provenance de la chambre à coucher occupée par les deux religieuses.
— Bon, qu’est-ce qui se passe encore ? demanda la maîtresse de maison à mi-voix, assise dans son lit, hésitant à poser les pieds sur le parquet froid.
— M’man, est-ce que vous êtes réveillée ? fit Bernadette en poussant doucement la porte de la chambre de sa mère.
— Comment veux-tu que je sois pas réveillée ? ronchonna Marie. Qui a crié comme ça ?
— D’après moi, c’est ma tante Mathilde.
— Elle, je trouve qu’elle commence pas mal de bonne heure à faire du raffut, laissa-t-elle tomber avec mauvaise humeur en se décidant brusquement à poser un châle sur ses épaules pour aller s’enquérir de ce qui s’était passé.
La mère et la fille allèrent frapper à la porte voisine. La petite sœur Sainte-Anne, le visage chiffonné, vint ouvrir, tenant une lampe de service allumée dans une main.
— Voulez-vous bien me dire ce qui se passe ? demanda sèchement la maîtresse de maison. Des plans pour réveiller toute la maisonnée.
— Viens voir, Marie, lui ordonna Mathilde Beauchemin, vêtue d’une épaisse robe de nuit en pilou et la tête couverte par un bonnet du plus curieux effet.
Là-dessus, elle tira du premier tiroir de la commode son voile et son rabat.
— Approchez la lampe, ma sœur, dit-elle à sa compagne. Mon voile et mon rabat ont été mangés à moitié par des mulots durant la nuit.
— Voyons donc ! protesta Marie pour la forme.
— Je te le dis. Je les ai entendus toute la nuit en train de se promener dans le tiroir.
— Dans ce cas-là, comment ça se fait que tu t’es pas levée pour les chasser ? lui demanda sa belle-sœur avec une certaine logique.
— T’es pas folle, toi ! J’ai ben trop peur de ces bibittes-là, fit la grande et grosse femme en ne parvenant pas à réprimer un frisson de crainte.
— Tu sais bien que les petites bêtes mangent pas les grosses, laissa tomber la maîtresse de maison.
— J’espère que tu trouves pas ça drôle, répliqua la religieuse, toujours aussi furieuse. Là, comment tu penses que je vais rentrer à l’orphelinat avec un voile et un rabat pleins de trous ?
— T’as juste à essayer de les repriser aujourd’hui… Et vous, sœur Sainte-Anne, est-ce que les mulots ont touché à vos affaires ?
— Non, madame Beauchemin. J’ai mis mon chapelet sur mon voile, ça l’a probablement protégé.
— En tout cas, Marie, ce genre d’affaire-là arrive pas dans une maison bien tenue, ne put s’empêcher de déclarer sœur Marie du Rosaire.
— Ah ben, vous êtes pas gênée, ma tante ! s’emporta Bernadette qui avait assisté à toute la scène sans rien dire.
— Aïe, Mathilde Beauchemin ! protesta sa belle-sœur. T’as été élevée comme moi sur une terre et tu sais comme moi que les mulots, après les récoltes, cherchent à entrer dans les maisons. Il y a pas moyen d’empêcher ça.
— Au fond, ma tante, vous devriez vous estimer chanceuse qu’ils soient pas venus vous grignoter les orteils durant la nuit, fit Bernadette avec humour.
— Viens pas me dire ça, petite haïssable, rétorqua la religieuse. Des plans pour que je sois plus capable de fermer l’œil de la semaine.
— Bon, c’est bien beau tout ça, mais il est l’heure du train et le poêle est pas encore allumé en bas, déclara Marie en tournant les talons.
— Et qu’est-ce que je vais faire sans voile aujourd’hui ?
— À ta place, je garderais mon bonnet, lui suggéra sa belle-sœur. S’il vient des étrangers, t’auras juste à te cacher.
Ce matin-là, la mésaventure de sœur Marie du Rosaire ne suscita guère de sympathie chez ses hôtes et la religieuse dut se résigner à passer toute sa journée à l’intérieur pour réparer tant bien que mal les dégâts que les mulots avaient faits à ses vêtements.
Ce soir-là, Donat dut se rendre à une réunion imprévue du conseil de fabrique. Le notaire Valiquette avait fait prévenir les autres membres l’après-midi. Ainsi, sur le coup de sept heures et demie, Hormidas
Weitere Kostenlose Bücher