Au Coeur Du Troisième Reich
général de brigade Helmut Stieff. Ils participaient tous à la conjuration et aucun d’entre eux ne devait survivre aux mois qui allaient suivre. Peut-être était-ce le fait que la décision si longtemps différée de tenter le coup d’État avait été prise maintenant de manière irrévocable, toujours est-il qu’ils se montrèrent tous particulièrement insouciants cet après-midi-là, comme c’est souvent le cas après les grandes décisions. La chronique de mon ministère porte la trace du désarroi dont je fis preuve en les voyant minimiser la situation désespérée du front : « Selon les termes employés par le quartier-maître général, les difficultés ne sont pas très importantes… Les généraux affichent un air de supériorité et traitent la situation sur le front est comme une bagatelle 6 . »
Une ou deux semaines auparavant, le général Wagner avait brossé un tableau extrêmement noir de la situation et avait présenté, au cas où de nouveaux reculs se produiraient, des exigences tellement élevées dans le domaine de l’armement qu’elles étaient irréalisables ; je pense aujourd’hui qu’elles ne pouvaient tendre qu’à prouver à Hitler qu’il n’était plus possible d’équiper l’armée en armes et que nous nous dirigions vers une catastrophe. En mon absence, mon collaborateur Saur, soutenu par Hitler, avait chapitré lors de cette conférence le quartier-maître général, pourtant beaucoup plus âgé que lui. Depuis, je lui avais rendu visite pour lui témoigner ma sympathie, restée inchangée. Mais je constatai que le motif de sa contrariété ne le préoccupait plus depuis longtemps.
Nous nous étendîmes sur les abus qui étaient apparus en raison des insuffisances du commandement suprême. Le général Fellgiebel me décrivit le gaspillage de soldats et de matériel qui provenait de ce que chaque arme de la Wehrmacht disposait de son propre réseau de transmission : la Luftwaffe et l’armée de terre avaient installé des câbles distincts jusqu’à Athènes et jusqu’en Laponie. La réunion de ces services garantirait en cas d’urgence, en dehors des considérations d’économie, un fonctionnement sans accroc. Mais Hitler opposait à de telles suggestions un refus catégorique. Moi-même, j’abondai dans ce sens en citant quelques exemples montrant les avantages que retireraient toutes les armes de la Wehrmacht d’un armement à direction unique.
Bien que j’aie eu assez souvent l’occasion de converser franchement avec les conjurés, je ne soupçonnais rien de leurs intentions. Une seule fois, je sentis que quelque chose se manigançait, non à la suite d’une conversation avec eux, mais grâce à une remarque de Himmler. Ce devait être à la fin de l’automne 1943, et Hitler s’entretenait avec Himmler dans l’enceinte du quartier général ; je me tenais à proximité et je fus le témoin involontaire de cette conversation : « Vous acceptez donc, mon Führer, que je parle à l’ « éminence grise » et fasse semblant de participer à leur entreprise ? » Hitler acquiesça : « Il se trame je ne sais quels projets obscurs, peut-être me sera-t-il possible, si je gagne sa confiance, d’en savoir davantage. Si des tiers vous en parlent, mon Führer, vous serez au courant de mes motivations. » Hitler fit un geste qui exprimait son accord : « Mais naturellement, j’ai pleine confiance en vous. » Je me renseignai auprès d’un aide de camp pour savoir s’il savait qui portait le sobriquet d’« éminence grise ». « Oui, me répondit-il, c’est le ministre des Finances de Prusse, Popitz ! »
Le hasard se chargea de distribuer les rôles. Il sembla hésiter un moment sans savoir si je me trouverais le 20 juillet au centre du putsch, dans la Bendlerstrasse, ou au cœur de la résistance, au domicile de Goebbels.
Le 17 juillet, Fromm m’invita, par l’intermédiaire de son chef d’état-major Stauffenberg, à déjeuner le 20 juillet chez lui, dans la Bendlerstrasse, déjeuner qui devait être suivi d’une conférence. Ayant prévu depuis longtemps pour la fin de la matinée de prononcer un discours consacré à la situation de l’armement devant les représentants du gouvernement du Reich et de l’économie, je me vis contraint de décliner l’invitation. Malgré mon refus, le chef d’état-major de Fromm renouvela d’une manière pressante l’invitation pour le 20 juillet en affirmant que ma
Weitere Kostenlose Bücher