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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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l’intention évidente d’atteindre une nouvelle vérité en lui-même. « Voyez-vous, je les ai rarement perçus comme des individus. C’était toujours une énorme masse. Quelquefois j’étais debout sur le mur et je les voyais dans le “couloir”. Mais – comment expliquer – ils étaient nus, un flot énorme qui courait conduit à coups de fouet comme… » La phrase est restée en suspens. [« Stangl se tenait souvent sur la butte de terre séparant les [deux] camps, m’a dit Samuel Rajzman à Montréal. Il se tenait là comme un Napoléon surveillant son domaine. »]
    Vous ne pouviez rien y changer ? Au poste que vous occupiez, ne pouviez-vous pas empêcher le déshabillage, les coups de fouet, l’horreur des parcs à bestiaux ?
    « Non, non, non. C’était le système. Wirth l’avait inventé. Il fonctionnait. Et parce qu’il fonctionnait, il était intangible. »
    Suchomel se souvient de Stangl disant au personnel SS que par ordre de Hitler, personne ne devait être battu ni torturé. « Mais il a dit alors : “C’est impossible. Mais quand les huiles viennent de Berlin, cachez les fouets. “ »
    Au procès de Treblinka, Richard Glazar a témoigné que les flagellations avaient souvent une résonance nettement sexuelle et les dires de Suchomel semblent y apporter confirmation si besoin était. Suchomel raconte : « Quand Kurt Franz les battait, c’était sur les fesses nues [le mot allemand grossier qu’il a employé est Hintern [71] ] . Ils devaient baisser leurs pantalons et compter les coups de fouet. Toutefois les autres n’allaient pas jusque-là. »
    Joe Siedlecki a parlé aussi des coups que donnait Kurt Franz. « Il donnait cinquante coups de fouet. Ils étaient morts avant la fin. Lui-même était à moitié mort mais il tapait, tapait. Oh ! il y en avait de faiblards – deux coups et ils se dégonflaient ; mais Franz, Miete et quelques autres pouvaient y aller encore et encore. »
    « Avec Stangl, il y a quand même eu du progrès, a dit Suchomel plus tard. Il a un peu amélioré l’existence des gens, mais il aurait pu faire plus, particulièrement à partir de Noël 1942 ; il aurait pu supprimer le billot du fouet, supprimer les “courses”, le “sport” et ce que Franz faisait avec le chien, Bari – c’était à l’origine le chien de Stangl. Il aurait pu arrêter tout cela sans aucun embêtement pour lui. [Le chien, d’abord inoffensif, avait été dressé à attaquer les gens sur ordre, et spécialement aux parties génitales.] Il avait le pouvoir de le faire et il ne l’a pas fait. Je ne pense pas qu’il s’en soit soucié – tout ce qu’il faisait c’était de surveiller le camp de la mort, l’incinération et tout ça ; là il fallait que tout marche bien car toute l’organisation du camp en dépendait. Je crois que tout ce qui le préoccupait c’était que le camp marche comme sur des roulettes. »
    Gustav Münzberger, qui a été plus compromis que Suchomel, voit les choses différemment. « Si je crois que Stangl aurait pu changer quelque chose à Treblinka ? Non. Bien sûr peut-être un tout petit peu, le billot du fouet et tout ça. Mais d’un autre côté s’il l’avait fait, alors Franz aurait averti Wirth et Wirth aurait simplement donné un contre-ordre. Alors à quoi bon ? »
    J’ai demandé à Stangl : Pour vous, quel était le pire endroit du camp ?
    « Les baraques de déshabillage, m’a-t-il répondu tout de suite. C’est une chose que je repoussais du plus profond de moi-même. Je ne pouvais pas les affronter ; je ne pouvais pas leur mentir ; j’ai évité par tous les moyens de parler à ceux qui allaient mourir ; je ne pouvais pas le supporter. »
    C’était clair ; aussitôt que les gens étaient dans les baraques de déshabillage, c’est-à-dire qu’ils étaient nus, ce n’étaient plus des êtres humains pour lui. Ce qu’il “évitait à tout prix” c’était d’être le témoin du passage. Et quand il a cité des exemples de rapports humains avec des prisonniers, ce n’était jamais avec ceux qui allaient mourir.
    Mais est-ce qu’il ne se produisait jamais de fissure dans le mur que vous aviez bâti autour de vous ? À la vue d’un bel enfant ou d’une fille peut-être, ne vous souveniez-vous pas que c’étaient des êtres humains ?
    « Il y avait une très belle fille, une blonde avec des reflets roux. Elle travaillait à la clinique, mais quand une des domestiques a

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