Au Fond Des Ténèbres

sélectionnés ensemble dans un convoi. Le jeune Salzberg était homme de ménage dans les baraquements des SS avec Edek, le joueur d’accordéon. J’ai entendu dire qu’il aurait survécu et qu’il vivrait quelque part en Espagne. »
    « Mon souvenir principal de la révolte, a dit Richard est celui d’une confusion totale ; naturellement, les premiers instants ont été follement excitants ; des grenades et des bouteilles d’essence qui explosaient, des incendies presque tout de suite, des coups de feu partout. Tout était justement si différent de ce qui avait été prévu que nous avons été jetés dans la plus totale confusion… »
    « Naturellement, nous avions le téléphone, a dit Stangl, et dans un cas d’urgence comme celui-là, mon premier devoir était d’informer le chef des services de Sécurité extérieurs. À peine l’avais-je fait que notre station d’essence a sauté – elle avait été construite également comme une vraie station-service, avec des massifs de fleurs autour. Ensuite tout le ghetto s’est mis à brûler et là-dessus, Matthes le responsable allemand du Totenlager, est arrivé en courant pour dire que là-haut tout brûlait aussi. Par la suite nous avons découvert qu’ils avaient commencé plus tôt que prévu – sans doute parce que Franz et vingt hommes se trouvaient hors du camp et que les prisonniers ont pensé que c’était le meilleur moment pour accéder à notre parc de munitions ; mais en fait la fusillade ne s’est prolongée que dix minutes encore – elle a duré peut-être une demi-heure en tout. À ce moment-là il ne restait presque plus personne. » [Kurt Franz, qui, de l’avis de tous, était le tueur le plus vicieusement sadique de la bande et qui purge actuellement une peine à vie en Allemagne de l’Ouest, a donné sa propre version au procès de Stangl, sur sa participation aux événements et a fait une déclaration très extraordinaire et parfaitement grotesque. « Le 2 août, a-t-il dit, je me suis débrouillé puisque les deux tiers des gardes étaient absents – ils étaient partis nager avec la permission de l’accusé [Stangl] –, pour que la révolte éclate. J’avais deviné ce que les travailleurs juifs projetaient et ce qui nous attendait, et c’est pour cette raison que j’avais laissé ma mitraillette dans mes quartiers… »]
    « Au bout de quelques minutes, a dit Glazar, c’était plus ou moins chacun pour soi. Il y avait des groupes qui s’enfuyaient ensemble comme prévu, mais dans chaque groupe ce n’était qu’une minorité. Sur les vingt-cinq hommes de notre groupe de camouflage qui avaient projeté de rester ensemble, six, huit, peut-être sont partis. Quatre seulement sont encore en vie aujourd’hui… »

16
    Durant notre visite à Treblinka, Berek Rojzman m’a dit « Oh ! oui, je savais que la révolte se préparait, mais je ne faisais pas partie des organisateurs. Ils n’étaient que quelques… [et il a utilisé l’équivalent de « messieurs »] au comité. Mon rôle était de régler son compte au garde ukrainien sur un des miradors près duquel je travaillais. »
    Il m’a montré l’endroit. C’était à l’extrémité orientale du camp (tout près des champs dont certains étaient cultivés par des paysans polonais et d’autres par des prisonniers comme lui, pour l’équipe SS), au-dessus du camp de la mort.
    « L’homme de garde ce jour-là s’appelait Mira, a-t-il précisé. Il était assis en haut du mirador, vêtu d’un simple short et il prenait le soleil. Quand il a entendu les premiers coups de feu en provenance du camp d’en bas, et réalisé que ça bardait, il a sauté comme il était. J’ai couru sur lui et lui ai dit : “Mira, cours, les Russes arrivent.” Je lui ai pris son fusil et il n’a pas fait un geste pour m’arrêter. “Sauve-toi, mais je garde le fusil.” Et il s’est sauvé. »
    Rojzman s’était arrangé pour s’évader avec un cousin, tous les prisonniers avaient fait des arrangements individuels, comme ça ; le cousin devait transporter les fonds. Il avait reçu une bonne somme d’argent, et il ne devait pas participer aux combats pour ne pas mettre les fonds en danger. Ils avaient décidé d’un point de ralliement à l’intérieur du périmètre du camp et avant de s’y retrouver, à un moment qu’ils avaient fixé juste après le début de la révolte, le cousin devait rester caché. En fait le cousin n’a jamais