Au Fond Des Ténèbres
ne l’avait pas trouvé. Je lui ai filé une bonne raclée. »
Peu après, ils ont quitté leur abri et ont pris la direction d’Otwock. Rojzman ne m’a rien dit de plus sur Staszek, l’homme grâce à qui ils avaient survécu. Il laissait entendre qu’il avait été payé pour ce qu’il avait fait. (Il le fut probablement, mais étant donné le risque encouru, on peut se demander s’il est possible de s’acquitter jamais d’une telle dette au moyen d’argent.)
« Pour atteindre Otwock, dit Rojzman, nous avons marché très longtemps et mes pieds étaient blessés. J’ai demandé à Janiek de m’aider à enlever mes chaussures. Mais il m’a répondu : “Dans les bois j’étais obligé de le faire. Plus maintenant.” Alors j’ai répliqué : “Dans les bois nous étions obligés de vivre ensemble, plus maintenant, alors va-t’en.”
« Il nous restait 400 dollars que nous avons partagés. Et nous nous sommes séparés. À Otwock j’ai retrouvé la femme de ce couple polonais ami de Varsovie, vous vous rappelez. Les Allemands avaient tué son mari et elle restait avec deux enfants. Elle trafiquait un peu, j’ai trafiqué aussi ; nous sommes devenus de bons amis et plus tard, je l’ai épousée… »
Richard Glazar est parti de Treblinka dans ce qu’il décrit comme un état de joie frénétique, n’emportant rien d’autre que son vieux rasoir, une boîte de savon avec deux petits morceaux de savon (il l’a encore, et le savon est tout craquelé et moisi), de l’argent et quelques bijoux ; des bagues en or et deux petits diamants. « Deux Juifs-or tchèques nous avaient donné toutes ces choses, à Karel et à moi la veille de la révolte, pour le cas où nous nous en sortirions. Nous avons encore tous les deux les diamants, nous les avons gardés durant toute notre fuite et jusqu’à maintenant. »
Joe Siedlecki m’a dit que bien que ne faisant pas partie du comité, lui aussi était au courant de la révolte. « Je m’étais arrangé pour partir avec un autre et avec un sac plein de diamants. »
Je l’ai interrogé sur une fille dont j’avais entendu dire qu’elle était sa petite amie au camp.
« Oh ! petite amie, c’est une façon de parler, a-t-il dit. Il y avait neuf filles pour quinze cents hommes [en réalité, l’équipe de travail comportait un millier d’hommes, mais à l’époque de la révolte, elle avait été réduite à huit cents]. Celle dont vous parlez, je causais avec, mais nous n’avons jamais couché ensemble. Non ce n’est pas avec moi qu’elle s’est sauvée, c’est avec Samuel Rajzman. Je l’ai vue plus tard dans la forêt, pourtant. Non je ne sais pas ce qu’elle est devenue. »
[Samuel Rajzman qui, lui aussi, a passé une année caché dans la forêt, m’a raconté qu’un jour, au retour d’une expédition dans un village voisin où il avait été chercher de la nourriture pour le groupe, il les a tous retrouvés morts, y compris la « petite amie » de Joe Siedlecki, tués, a-t-il dit, par les partisans polonais.]
Joe a continué : « Deux hommes voulaient venir avec moi, mais l’un avait l’air très juif. On aurait dit un rabbin. J’ai dit : “Qu’est-ce que tu veux faire de ma vie ? Fais-moi plaisir, prends cette route et je prends l’autre.” Il avait des diamants et de l’or et il m’a offert de partager si je le laissais m’accompagner, et l’autre aussi. Finalement, nous sommes partis ensemble et nous ne nous sommes séparés qu’en arrivant à Varsovie. »
Comme la plupart des survivants de Treblinka et de Sobibor – ceux dont le physique le leur permettait – Joe Siedlecki a passé le reste de la guerre en se faisant passer pour aryen. « Je suis entré dans une unité de construction polonaise rattachée à l’armée allemande. Nous touchions les rations de l’armée, des billets et des laissez-passer. » Il est resté un an dans cette unité, sous l’uniforme de la Wehrmacht (sans doute en Allemagne). « Chacun, finalement, partait en permission. J’avais laissé passer mon tour plusieurs fois mais les gens ont commencé à trouver ça suspect. Alors, à la fin, j’ai dû partir en permission en Pologne. »
Quand il est retourné en Pologne, une Polonaise l’a laissé coucher dans sa cuisine. « Puis j’ai découvert qu’elle cachait quatre Juifs, m’a dit Joe. Ils y étaient depuis deux ans et la payaient. Elle, son enfant et moi couchions dans la cuisine, les Juifs
Weitere Kostenlose Bücher